Histoire du Parlement de Paris

 


CHAPITRE 46 — Querelle du duc d’Épernon avec le parlement. Remontrances mal reçues.

Pendant que ces derniers états généraux étaient assemblés en vain, que cent intrigues opposées agitaient la cour, et que les factions ébranlaient les provinces, il survint entre le duc d’Épernon et le parlement une querelle également désagréable à l’un et à l’autre.

Le duc d’Épernon autrefois favori de Henri III ayant forcé le grand Henri IV à le ménager, ayant fait donner la régence à sa veuve, bravait Conchini et sa femme qui gouvernaient la reine. Il la fatiguait par ses hauteurs ; mais il conservait encore cet ascendant que lui donnaient ses services, ses richesses, ses dignités et surtout sa place de colonel général de l’infanterie. Toujours intrigant, mais encore plus fier, il mettait dans toutes les affaires un orgueil insupportable, au lieu de cette hauteur noble et décente qui subjugue quand elle est placée.

Il arriva qu’un soldat du régiment des gardes tua un de ses camarades près de l’abbaye de Saint Germain des Près. Le droit du colonel général était de faire juger le coupable dans son conseil de guerre. Le bailli de l’abbaye s’était saisi du mort et du meurtrier. C’est sans doute un grand abus que des moines soient seigneurs, et qu’ils aient une justice. Mais enfin, il était établi que le premier juge qui avait commencé les informations, demeurât maître de l’affaire. On est très jaloux de ce malheureux droit. Le duc d’Épernon encore plus jaloux du sien redemanda son soldat pour le juger militairement. Le bailli refusa de le rendre. D’Épernon fait briser les portes de la prison, et enlever le meurtrier avec le mort. Le bailli porte sa plainte au parlement. Ce tribunal assigne d’Épernon pour être ouï.

Ce seigneur croyait que ce n’était pas au parlement mais au conseil du roi à décider de la compétence ; il regardait l’assignation comme un affront plutôt que comme une procédure légale. Il ne comparut que pour insulter au parlement, menant cinq cents gentilshommes à sa suite, bottés, éperonnés et armés. Le parlement le voyant arriver en cet équipage leva la séance. Les juges en sortant furent obligés de défiler entre deux haies de jeunes officiers qui les regardaient d’un air outrageant, et déchiraient leurs robes à coups d’éperons.

Cette affaire fut très difficile à terminer. D’un côté le bon ordre exigeait qu’on fît au parlement une réparation authentique : d’un autre la cour avait besoin de ménager le duc d’Épernon pour l’opposer au prince de Condé qui menaçait déjà de la guerre civile. On prit un tempérament ; on ordonna par une lettre de cachet que le parlement suspendrait ses procédures contre le duc d’Épernon, et qu’il recevrait ses excuses. Il vint donc se présenter au parlement une seconde fois, toujours accompagné d’un grand nombre de noblesse.

Messieurs, dit-il, je vous prie d’excuser un pauvre capitaine d’infanterie, qui s’est plus appliqué à bien faire qu’à bien dire.

Cet exemple fut une des preuves que les lois ne sont pas faites pour les hommes puissants. Le duc d’Épernon les brava toujours. Ce fut lui qui à-peu-près dans le même temps, ne pouvant souffrir que le garde des sceaux Du Vair précédât les ducs et pairs dans une cérémonie à la paroisse du Louvre, le prit rudement par le bras, et le fit sortir de la place de l’église, en lui disant qu’un bourgeois ne devait pas se méconnaître. Ce fut lui qui quelques années après alla avec cent cinquante cavaliers enlever la reine mère au château de Blois, la conduisit à Angoulême, et traita ensuite avec le roi de couronne à couronne. Les exemples de pareilles témérités n’étaient pas rares alors.

La France retombait insensiblement dans l’anarchie dont Henri IV l’avait tirée par tant de travaux et avec tant de sagesse. Les états généraux n’avaient rien produit ; les factions redoublaient. Le maréchal de Bouillon qui voulait se faire un parti puissant, engagea le parlement à convoquer les princes et les pairs pour délibérer sur les affaires publiques. La reine alarmée défendit aux seigneurs d’accepter cette invitation dangereuse. Les présidents et les plus anciens conseillers furent mandés au Louvre. Le chancelier de Silleri leur dit ces paroles : vous n’avez pas plus de droit de vous mêler de ce qui regarde le gouvernement que de connaître des comptes et des gabelles.

Le parlement prépara des remontrances. La reine manda encore quarante magistrats au Louvre : le roi est votre maître, dit-elle, et il usera de son autorité si vous contrevenez à ses défenses. Elle ajouta qu’il y avait dans le parlement une troupe de factieux ; elle défendit les remontrances, et aussitôt le parlement alla en dresser de très fortes. Le 22 mai le premier président de Verdun vint les prononcer à la tête du parlement.

Elles regardaient précisément le gouvernement de l’état, elles furent écoutées et négligées. Tout finit par enregistrer des lettres patentes du roi qui ordonnaient aux juifs étrangers de sortir de France. C’étaient pour la plupart des juifs portugais qui étaient venus envahir tout le commerce que les français n’entendaient pas encore. Ils restèrent pour la plupart à Bordeaux, et continuèrent ce commerce qui leur était défendu. Une autre affaire qui regardait plus particulièrement le parlement fut celle de la paulette. C’était un droit annuel, imaginé par un nommé Paulet sous l’administration du duc de Sully. Tous ceux qui avaient obtenu des charges de judicature payaient par an la soixantième partie du revenu de leurs charges, moyennant quoi elles étaient assurées à leurs héritiers qui pouvaient les garder ou les vendre à d’autres, comme on vend une métairie. Cet abus ne faisait pas honneur au duc de Sully, c’était peut-être l’unique tache de son ministère.

Les états de 1614 et 1615 demandèrent fortement l’abolition de ce droit et de cette vénalité ; le ministère le promit en vain. L’avantage de laisser sa charge à sa famille l’emporta sur le fardeau du droit annuel. Il y a eu beaucoup de changements dans la perception de ce droit. On l’a modifié de vingt manières, comme presque toutes les lois et tous les usages. Mais la honte d’acheter le droit de vendre la justice et celui de le transmettre à ses héritiers a subsisté toujours. On a prétendu depuis que le cardinal de Richelieu approuva cet opprobre dans son prétendu testament politique, on ne s’apercevait pas encore que ce testament est l’ouvrage d’un faussaire aussi ignorant qu’absurde.

 


CHAPITRE 47 — Du meurtre du maréchal d’Ancre et de sa femme.

De plus grands événements se préparaient, les factions s’aigrissaient, Conchini maréchal d’Ancre n’entrait pas au conseil, mais il le dirigeait ; il était le maître des affaires, et le prince de Condé premier prince du sang en était exclus. Il eut le malheur de se croire obligé à prendre les armes comme son père et son grand-père. Cette guerre civile dura peu ; elle fut suivie du traité de Loudun qui donnait au prince de Condé un pouvoir presque égal à celui de la régente. à peine le prince de Condé crut-il jouir de ce pouvoir, que Conchini le fit mettre à la Bastille. La prison de ce prince, au lieu d’étouffer les restes des guerres civiles, les ralluma ; chaque seigneur, chaque prince, chaque gouverneur de province prenait le parti qu’il croyait le plus convenable à ses intérêts, et en changeait le lendemain. Chacun ravissait ce qui était à sa bienséance. Le duc d’Épernon qui était retiré dans l’Angoumois tenta de se rendre maître de la Rochelle. Le maréchal de Lesdiguières était véritablement souverain dans le Dauphiné. Le duc de Nevers, de la maison de Gonzague, se cantonnait dans ses terres. Le duc de Vendôme, fils de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, le duc de Mayenne fils du chef de la ligue, le maréchal duc de Bouillon prince de Sedan, unissaient leurs troupes, et tous disaient que c’était contre le florentin Conchini, et non pas contre le roi.

Au milieu de tant d’alarmes, un jeune gentilhomme du comtat d’Avignon, introduit auprès de Louis XIII et s’étant rendu nécessaire aux amusements de son enfance, préparait une révolution à laquelle personne ne s’attendait. Le roi avait alors seize ans et demi ; il lui persuada qu’il était seul capable de bien gouverner son royaume, que sa mère n’aimait ni sa personne ni son état, que Conchini était un traître. Ce Conchini dans ce temps-là même faisait une action qui méritait une statue. Enrichi par les profusions de Marie de Médicis, il levait à ses dépens une armée de cinq à six mille hommes contre les révoltés ; il soutenait la France comme si elle avait été sa patrie. Le jeune gentilhomme nommé Cadenet, connu sous le nom de Luynes, rendit si suspect le service même que Conchini maréchal de France venait de rendre, qu’il fit consentir le roi à l’assassiner, et à mettre en prison la reine sa mère.

Le jeune Louis XIII à qui on donnait déjà le nom de juste approuva l’idée de faire tuer le maréchal dans son propre appartement, ou dans celui de sa mère. Conchini ne s’étant pas présenté ce jour-là au Louvre ne prolongea sa vie que d’un jour. Il fut tué à coups de pistolet le lendemain en entrant dans la cour du château. Vitry, et quelques gardes du corps furent les meurtriers. Vitry eut le bâton de maréchal de France pour récompense. Marie de Médicis fut emprisonnée dans son appartement dont on mura les portes qui donnaient sur le jardin, et bientôt après on l’envoya prisonnière à Blois, dont le duc d’Épernon la tira trois ans après, comme on l’a déjà dit.

La Galigaï, maréchale d’Ancre, dame d’atours de la reine, fut incontinent saisie, dépouillée de tout, conduite à la Bastille, et de là transférée à la conciergerie. Le favori de Luynes qui dévorait déjà en espérance les grands biens du mari et de la femme, fit donner ordre au parlement d’instruire le procès du maréchal assassiné et de sa malheureuse veuve. Pour le maréchal, son corps ne pouvait pas se retrouver, le peuple en fureur l’avait déterré, on l’avait mis en pièces, on avait même mangé son cœur ; excès de barbarie digne du peuple qui avait exécuté les massacres de la saint Barthélemy, et inconcevable dans une nation qui passe aujourd’hui pour si frivole et si douce.

Il était difficile de trouver de quoi juger à mort la maréchale. C’était une italienne de qualité venue en France avec la reine, comblée à la vérité de ses bienfaits, insolente dans sa fortune et bizarre dans son humeur, défauts pour lesquels on n’a jamais fait couper le cou à personne.

On fut obligé de lui faire un crime d’avoir écrit quelques lettres de compliments à Madrid et à Bruxelles, mais ce forfait ne suffisant pas, on imagina de la faire déclarer sorcière. On croyait alors aux sortilèges et à la magie comme à un point de religion. Cette superstition est la plus ancienne de toutes et la plus universelle. Elle passa des païens et des juifs chez les premiers chrétiens, et s’est conservée jusqu’au temps où un peu de philosophie a commencé à ouvrir les yeux des hommes aveuglés par tant de siècles.

La maréchale d’Ancre avait fait venir d’Italie un médecin juif nommé Montalto ; elle avait même eu la scrupuleuse attention d’en demander la permission au pape. Les médecins de Paris n’étaient pas alors en grande réputation dans l’Europe. Les italiens étaient en possession de tous les arts. On prétendit que le juif Montalto était magicien, et qu’il avait sacrifié un coq blanc chez la maréchale ; cependant, il ne put la guérir de ses vapeurs. Elles furent si fortes qu’au lieu de se croire sorcière elle se crut ensorcelée. Marie de Médicis lui dit que le dernier cardinal de Lorraine Henri, ayant eu la même maladie, s’était fait exorciser par des moines de Milan. Elle eut la faiblesse de faire venir deux de ces exorcistes milanais qui dirent des messes aux augustins pour la vaporeuse maréchale, et qui l’assurèrent qu’elle était guérie.

On l’interrogea sur le meurtre d’Henri IV. On lui demanda si elle n’en avait point eu connaissance. Après avoir ri sur les accusations de magie, elle pleura à cet interrogatoire sur la mort du feu roi, et fit sentir aux juges tout ce que cette imputation contre la confidente de la reine pouvait avoir d’atroce. Des deux rapporteurs qui instruisaient le procès, l’un était Courtin vendu au nouveau favori et qui sollicitait des grâces ; l’autre était Deslandes Payen, homme intègre, qui ne voulut jamais conclure à la mort. Cinq juges s’absentèrent, quelques-uns opinèrent pour le seul bannissement. Mais Luynes sollicita avec tant d’ardeur, que la pluralité fut pour brûler une maréchale de France comme sorcière. Elle fut traînée dans un tombereau à la grève comme une femme de la lie du peuple. Toute la grâce qu’on lui fit fut de lui couper la tête avant de jeter son corps dans les flammes.

On croirait qu’un tel arrêt est du dixième siècle. Le parlement en condamnant la mémoire du maréchal eut soin d’insérer dans l’arrêt, que désormais aucun étranger ne serait admis au conseil d’état ; cette clause était plus qu’on ne demandait. Luynes qui eut beaucoup plus de pouvoir que Conchini était étranger lui-même, étant né sujet du pape.

 


CHAPITRE 48 — Arrêt du parlement en faveur d’Aristote. Habile friponnerie d’un nonce. Mort de l’avocat général Servin en parlant au parlement.

Cette cruelle démence de condamner aux flammes pour un crime qu’il est impossible de commettre, n’était pas particulière à la France. Presque toute l’Europe était alors infectée de la croyance à la magie, aux possessions du diable, aux sortilèges de toute espèce. On condamnait même quelquefois des sorciers dans les pays protestants. Cette superstition était malheureusement liée à la religion. La raison humaine n’avait pas encore fait assez de progrès pour distinguer les temps où Dieu permettait que les pharaons eussent des magiciens, et Saül une pythonisse, d’avec les temps où nous vivons.

Il y a une autre espèce de superstition moins dangereuse, c’est un respect aveugle pour l’antiquité. Ce respect qui a nui aux progrès de l’esprit pendant tant de siècles était poussé pour Aristote jusqu’à la crédulité la plus servile. La fortune de ses écrits était bien changée de ce qu’elle avait été quand elle parut en France pour la première fois du temps des albigeois. Un concile alors avait condamné Aristote comme hérétique, mais depuis, il avait régné despotiquement dans les écoles.

Il arriva qu’en 1624 deux chimistes parurent à Paris. La chimie était une science assez nouvelle. Ces chimistes admettaient cinq éléments, qui sont, comme on sait, différents des quatre éléments d’Aristote. Ils n’étaient pas non plus de son avis sur les catégories, ni sur les formes substantielles. Ils publièrent des thèses contre ces opinions du philosophe grec. L’université cria à l’hérésie ; elle présenta requête au parlement. La rumeur fut si grande que les nouveaux docteurs furent mis en prison, leurs thèses lacérées en leur présence par un huissier ; les deux délinquants condamnés au bannissement du ressort du parlement. Enfin, il fut défendu par le même arrêt, sous peine de la vie, de soutenir aucune thèse sans la permission de la faculté.

Il faut plaindre les temps où l’ignorance et la fausse science encore pire, avilissaient ainsi la raison humaine, et malheureusement ces temps étaient bien proches du nôtre. Nous avions eu cependant des Montagne, des Charron, des de Thou, des l’Hôpital ; mais le peu de lumière qu’ils avaient apportée était éteinte, et cette lumière même n’éclaira jamais qu’un petit nombre d’hommes.

Si le parlement ayant plus étudié les droits de la couronne et du royaume que la philosophie, tombait dans ces erreurs qui étaient celles du temps, il continuait toujours à détruire une autre erreur que la cour de Rome avait voulu introduire dans tous les lieux et dans tous les temps, et qui était l’erreur de presque tous les ordres monastiques ; c’était ce préjugé incroyable, établi depuis le pape Grégoire VII que les rois sont justiciables de l’église. On a vu qu’aux états de 1614 et 1615 ce préjugé avait triomphé des vœux du peuple, et du zèle du parlement.

Cette odieuse question se renouvela encore en 1626 à l’occasion d’un libelle imputé au jésuite Garasse, le plus dangereux fanatique qui fût alors chez les jésuites. On reprochait dans ce libelle au roi et au cardinal de Richelieu, les alliances de la France avec des princes protestants, comme si des traités que la politique ordonne pouvaient avoir quelque rapport à la religion. On poussait l’insolence dans ces libelles jusqu’à dire que le roi et ses ministres méritaient d’être excommuniés. Le parlement ne manqua ni à l’inutile cérémonie de brûler le libelle, ni au soin plus sérieux de rechercher l’auteur.

L’assemblée du clergé remplit son devoir en condamnant le livre ; mais Spada nonce du pape se servit d’une ruse digne d’un prêtre italien, en faisant faire une traduction latine de cette censure, traduction infidèle, et dans laquelle la condamnation était totalement éludée. Il la fit signer par quelques évêques et l’envoya à Rome comme un monument de la soumission de la couronne de France à la tiare.

Le parlement découvrit la supercherie ; non seulement il condamna la traduction latine, mais il inséra dans la condamnation, qu’on procéderait contre les étrangers qui avaient conduit cette fourberie. Le clergé prit alors le parti du nonce Spada, il s’assembla ; mais comme son assemblée légale était finie, le parlement lui ordonna de se séparer, et enjoignit selon les lois aux évêques d’aller résider dans leurs diocèses. Mais alors le pape avait tant d’influence dans les cours de sa communion, que le cardinal de Richelieu était obligé de le ménager et comme cardinal et comme ministre. On évoqua toute cette affaire au conseil du roi ; on l’assoupit, jusqu’à la première occasion qui la ferait renaître ; il n’y avait point alors d’autre politique.

Précisément dans ce temps-là même, il fallait de l’argent, et ce sont-là de ces affaires qui ne s’assoupissent pas. Les guerres civiles contre les huguenots sous le ministère du duc de Luynes, la guerre de la Valteline sous le cardinal de Richelieu, avaient épuisé toutes les ressources. Les huguenots du royaume maltraités par Richelieu recommençaient encore la guerre. Le roi fut obligé d’aller lui-même au palais faire vérifier des édits bursaux. On consultait souvent dans ces édits plutôt la nécessité pressante que la proportion égale des impôts, et l’utilité du peuple.

L’avocat général Servin fut frappé de mort subite, en prononçant sa harangue au roi : vous acquérez, disait-il, une gloire plus solide en gagnant le cœur de vos sujets, qu’en domptant vos ennemis. À ces dernières paroles la voix lui manqua, une apoplexie le saisit, et on l’emporta expirant.

Le jésuite Avrigni, auteur des mémoires chronologiques d’ailleurs exacts et curieux, prétend qu’il mourut en parlant contre les jésuites, dans une affaire qui survint immédiatement après.

Il était toujours question de cet horrible systême de la puissance du pape sur les rois et sur les peuples. Il semblait que le sang de Henri IV eût fait renaître les têtes de cette hydre. Santarelli jésuite italien publia cette doctrine dans un nouveau livre approuvé par Vitelleski général de cet ordre, et dédié au cardinal de Savoie. Jamais on ne s’était exprimé d’une manière si révoltante. Il fut brûlé à Paris selon l’usage ; mais ces exécutions ne produisant rien, il fut agité dans le parlement si on chasserait les jésuites une seconde fois. Il ordonne au provincial, à trois recteurs, et à trois profés, de comparaître le lendemain. Ils arrivent au milieu du peuple indigné qui bordait les avenues du palais.

Le jésuite Coton, alors provincial, porte la parole. On lui demande s’il croit que le pape puisse excommunier et déposséder le roi de France. Ah ! répond-il, le roi est fils aîné de l’église, il ne fera jamais rien qui oblige le pape à en venir à cette extrémité. Mais, lui dit le premier président, ne pensez-vous pas comme votre père général, qui attribue au pape cette puissance ?Ah ! Notre père général suit les opinions de Rome où il est, et nous celles de France où nous sommes. — Et si vous étiez à Rome que feriez-vous ? — Nous ferions comme les autres. Ces réponses pouvaient attirer aux jésuites l’abolition de leur ordre en France, ils en furent quittes pour signer quatre propositions concernant les libertés de l’église gallicane, ou plutôt de toute église, qui sont en partie celles que nous verrons en 1682. Le roi défendit au parlement de passer outre. La Sorbonne redevenue française, après avoir été ultramontaine sous Henri III et sous Henri IV fit non seulement un décret contre Santarelli et contre toutes ces prétentions de Rome, mais ordonna que ce décret serait lu publiquement tous les ans. La cour ne permit pas cette clause, tant il paraissait encore important de ménager ce qu’on ne pouvait assez réprimer.

 


CHAPITRE 49 — La mère et le frère du roi quittent le royaume. Conduite du parlement.

Le cardinal de Richelieu gouvernait la France despotiquement. Le hasard qui est presque toujours l’origine des grandes fortunes, ou, pour parler plus juste, cette chaîne inconnue de tous les événements qu’on appelle hasard, avait d’abord produit l’abbé du Chillon-Richelieu auprès de Marie de Médicis pendant sa régence. Elle le fit évêque de Luçon, secrétaire d’état, et surintendant de sa maison. Ensuite, ayant partagé les persécutions qu’essuya cette reine après les meurtres du maréchal d’Ancre et de sa femme, il obtint par sa protection la dignité de cardinal, et enfin une place au conseil.

Dès qu’il eut affermi son autorité il ne souffrit pas que sa bienfaitrice la partageât, et dès lors elle devint son ennemie.

Louis XIII faible, malade, nullement instruit, incapable de travail, ne pouvant se passer de premier ministre, fut obligé de choisir entre sa mère et le cardinal. Sa mère plus faite pour les intrigues que pour les affaires, plus jalouse de son crédit qu’habile à le conserver, faible et opiniâtre comme son fils, mais plus inconstante encore, plus gouvernée, inquiète, inhabile, ne pouvant pas même régir sa maison, était bien loin de pouvoir régir un royaume. Richelieu était ingrat, ambitieux, tyrannique ; mais il avait rendu de très grands services. Louis XIII sentait combien ce ministre détesté lui était nécessaire. Plus sa mère et Gaston son frère se plaignirent, plus Richelieu fut puissant.

Les favoris de Marie de Médicis et de Gaston agitèrent la cour et le royaume par des factions qui dans d’autres temps auraient dégénéré en guerres civiles. Richelieu étouffa tout par son habileté active, par des rigueurs et par des supplices qui ne furent pas toujours conformes aux lois.

Gaston, frère unique du roi, quitta la France et se retira en Lorraine. Marie sa mère s’enfuit à Bruxelles, et se mit ouvertement sous la protection du roi d’Espagne, dont l’inimitié était déclarée contre la France, si la guerre ne l’était pas encore.

Il n’en était pas de même du duc de Lorraine ; la cour de France ne pouvait le regarder comme un prince ennemi. Cependant le cardinal publia une déclaration du roi, dans laquelle tous les amis et les domestiques de monsieur qui l’avaient accompagné dans sa retraite étaient regardés comme criminels de lèse-majesté. Cette déclaration paraissait trop sévère ; des domestiques peuvent suivre leur maître sans crime dans ses voyages ; et quand ils n’ont fait aucune entreprise contre l’état on n’a point de reproche à leur faire. Cette question fut longtemps débattue au parlement de Paris lorsqu’il fallut enregistrer la déclaration du roi. Gayant et Barillon présidents aux enquêtes, et Lainet conseiller parlèrent avec tant d’éloquence, qu’ils entraînèrent la moitié des voix, et il y eut un arrêt de partage.

Dans le temps même qu’on allait aux opinions, monsieur fit présenter une requête par Roger son procureur général. Elle commençait par ces mots : supplie humblement Gaston fils de France, frère unique du roi. Il alléguait dans sa requête, qu’il n’était sorti du royaume que parce que le cardinal de Richelieu l’avait voulu faire assassiner, et il en demandait acte au parlement.

Le premier président Le Jai empêcha que la pièce ne fût présentée ; il la remit entre les mains du roi qui la déclara calomnieuse et la supprima. Si elle avait été lue dans la grande chambre le parlement se trouvait juge entre l’héritier présomptif de la couronne et le cardinal de Richelieu.

Le roi indigné de l’arrêt de partage, manda au Louvre le parlement, et lui ordonna de venir à pied. Tous les membres du parlement se mirent à genoux devant le roi. Le garde des sceaux Château-Neuf leur dit qu’il ne leur appartenait pas de délibérer sur les déclarations du roi. L’avocat général Talon ayant dit que la compagnie demeurerait dans l’obéissance dont elle avait toujours fait profession ; ne me parlez pas de l’obéissance de vos gens, dit le roi, si je voulais former quelqu’un à cette vertu je le mettrais dans une compagnie de mes gardes et non pas au parlement.

Il exila Gayant, Barillon, Lainet ; il leur interdit pour cinq ans l’exercice de leur charge, et déchira lui-même l’arrêt de partage dont il jeta les morceaux par terre. La reine mère avant de partir pour les Pays-Bas implora le parlement comme son fils Gaston, et aussi inutilement. La compagnie n’osa recevoir ni ses lettres ni ses requêtes ; elle les fit imprimer ; on les trouve aujourd’hui dans les mémoires du temps.

L’une de ces requêtes commence par ces mots.

Supplie Marie, reine de France et de Navarre... etc.

Il n’y a point de lecteur qui ne voie que le ressentiment de Marie de Médicis l’emportait au delà de toute borne. On n’est pas d’ailleurs étonné qu’elle s’adresse en suppliante à ce même parlement qu’elle avait traité autrefois avec tant de hauteur ; elle avait parlé en souveraine quand elle était régente ; et elle parle dans sa requête en femme infortunée.

Le cardinal fit ériger une chambre de justice à l’arsenal pour condamner ceux que le parlement de Paris n’avait pas voulu condamner sans les entendre. Cette chambre était composée de deux conseillers d’état, de six maîtres des requêtes, et de six conseillers du grand-conseil. Elle commença ses séances le 10 septembre 1631.

Le parlement lui défendit par un arrêt de s’assembler. L’arrêt fut cassé, et le parlement obligé encore de venir demander pardon au roi à Metz où il était alors. On le fit attendre quinze jours, on le réprimanda, et les arrêts de la chambre de l’arsenal furent exécutés.

Ces vaines tentatives servirent à fortifier le pouvoir du cardinal qui humilia tous les corps, tint la reine mère dans l’exil et dans la pauvreté jusqu’à sa mort, le frère du roi dans la crainte et le repentir, les princes du sang dans l’abaissement, et le roi qui ne l’aimait pas, dans la dépendance de ses volontés. Aucun de ceux qui s’élevèrent contre lui ne fut condamné que par des commissaires ; il eut même l’insolence de faire juger à Ruel dans sa propre maison de campagne, le maréchal de Marillac, par des commissaires qui étaient ses esclaves ; et quand l’illustre Molé, alors procureur général, voulut agir pour le maintien des lois si indignement violées, le cardinal le fit décréter d’ajournement personnel au conseil, et l’interdit des fonctions de sa charge. Enfin, il se fit détester de tous les corps de l’état ; mais le succès de presque toutes ses entreprises fit mêler le respect à la haine.

 


CHAPITRE 50 — Du mariage de Gaston de France avec Marguerite de Lorraine, cassé par le parlement de Paris et par l’assemblée du Clergé.

Gaston, frère unique de Louis XIII, avait épousé en 1631 à Nancy Marguerite sœur du duc de Lorraine Charles IV. Toutes les formalités alors requises avaient été observées. Il n’était âgé que d’environ vingt-quatre ans ; mais la reine sa mère et le duc de Lorraine avaient autorisé et pressé ce mariage. Le contrat avait été communiqué au pape Urbain VIII et en conséquence le cardinal de Lorraine évêque de Toul, métropolitain de cette province, donna les dispenses de la publication des bancs. Les époux furent mariés en présence de témoins ; et deux ans après quand Gaston eut vingt-cinq ans, ils ratifièrent solennellement cette cérémonie dans l’église cathédrale de Malines, pour suppléer d’une manière authentique à tout ce qui pouvait avoir été omis. Ils s’aimaient, ils étaient bien éloignés l’un et l’autre de se plaindre d’une union que le pape et toute l’Europe regardaient comme légitime et indissoluble. Mais ce mariage alarmait le cardinal de Richelieu qui voyait la reine mère, le frère du roi héritier présomptif, et le duc de Lorraine ligués contre lui.

Louis XIII ne pensa pas autrement que son ministre. Il fallut faire penser le parlement et le clergé comme eux, et les engager à casser le mariage. On alléguait que Gaston s’était marié contre la volonté du roi son frère ; mais il n’y avait point de loi expresse qui portât qu’un mariage serait nul quand le roi n’y aurait pas consenti. Gaston avait personnellement offensé son frère ; mais le mariage d’un cadet était-il nul par cette seule raison qu’il déplaisait à l’aîné ? Louis XI étant dauphin avait épousé la fille d’un duc de Savoie malgré le roi son père, et avait fui du royaume avec elle, sans que jamais Charles VII entreprit de traiter cette union d’illégitime.

On regardait le mariage comme un sacrement et comme un engagement civil. En qualité de sacrement c’était le signe visible d’une chose invisible, un mystère, un caractère indélébile, que la mort seule peut effacer. Et quelque idée que l’église puisse attacher à ce mot de chose invisible, cette question ne paraissait pas du ressort des jugements humains. À l’égard du contrat civil, il liait les deux époux par les lois de toutes les nations. Annuler ce contrat solennel c’était ouvrir la porte aux guerres civiles les plus funestes : car s’il naissait un fils du mariage de Gaston, le roi n’ayant point d’enfants, ce fils était reconnu légitime par le pape et par les nations de l’Europe, et déclaré bâtard en France, et encor aurait-il eu la moitié de la France dans son parti.

Le cardinal de Richelieu ferma les yeux aux dangers évidents qui naissaient de la cassation. Il fit mouvoir tant de ressorts, qu’il obtint du parlement irrité contre lui un arrêt, et de l’assemblée du clergé qui ne l’aimait pas davantage, une décision favorable à ses vues. Cette condescendance n’est pas surprenante ; il était tout-puissant, il avait envahi les états du duc de Lorraine ; tout pliait sous ses volontés.

L’avocat général Omer Talon rapporte que le parlement étant assemblé, il y fut dit que Phéroras frère d’Hérode accusait Salomé d’avoir traité de son mariage avec Sillene lieutenant d’Arabie. On cita Plutarque en la vie de Dion. Après quoi la compagnie donna un décret de prise de corps contre Charles duc de Lorraine, François, nouveau duc de Lorraine (à qui Charles avait cédé son duché), et la princesse de Phalsbourg leur sœur, comme coupables de rapt envers la personne de monsieur, frère unique du roi. Ensuite il les condamna comme coupables de lèse-majesté, les bannit du royaume, et confisqua leurs terres.

Deux choses surprenaient dans cet arrêt, premièrement la condamnation d’un prince souverain qui était vassal du roi pour le duché de Bar, mais qui n’avait point marié sa sœur dans Bar.

Secondement le crime de rapt supposé contre monsieur qui était venu en Lorraine conjurer le duc de lui donner sa sœur en mariage. Il était difficile de prouver que la princesse Marguerite eût forcé monsieur à l’épouser.

Tandis que le parlement procédait, l’assemblée du clergé promulguait une loi civile, qui déclarait que les héritiers de la couronne ne pouvaient se marier sans le consentement du chef de la maison. On envoya un évêque de Montpellier à Rome pour faire accepter cette décision par le pape qui la réprouva. Un règlement de police ne parut pas au pape une loi de l’église. Si le roi, dont la santé était très chancelante, fût mort alors, Gaston eût régné sans difficulté, et il aurait aussi sans difficulté fait regarder comme très valide ce même mariage dont le parlement et le clergé français avaient prononcé la nullité. Heureusement Louis XIII approuva enfin le mariage de son frère. Mais la loi qui défend aux princes du sang de laisser une postérité sans le consentement du roi a toujours subsisté depuis ; et le sentiment de Rome qui tient ces mariages valides a subsisté de même ; source éternelle de divisions, jusqu’à ce que tous les hommes soient biens convaincus qu’il importe fort peu que ce qui est vrai à Paris soit faux dans le comtat d’Avignon, et que chaque état doit se gouverner selon ses lois indépendamment d’une théologie ultramontaine.

 

À suivre ou retour à la table des matières