Histoire de Madame de Luz : anecdote du règne de Henri IV


Seconde partie


Le marquis de Saint-Géran, suivi d’un grand nombre de personnes, arriva à la bastille, et en fit sortir le baron de Luz. Aussitôt que le baron apprit qu’il était libre, il sentit qu’il était plus heureux qu’innocent. Après avoir embrassé le marquis de Saint-Géran et tous ceux qui l’avaient suivi, il partit sur-le-champ, croyant que, malgré l’idée que l’on avait de son innocence, son premier devoir était de remercier le roi : les princes voulant en général que l’on reçoive toujours une justice comme une grâce. Il arriva donc au Louvre, suivi de tout ce cortège. Le roi le reçut avec bonté. Baron, lui dit-il aussitôt qu’il l’aperçut, je viens enfin de vous rendre justice ; oublions le passé, continuez à me bien servir, et comptez que je ne vous aimerai pas moins, quoique j’aie eu tort avec vous. Le baron de Luz ne répondit au roi qu’en se jetant à ses pieds. Le roi lui tendit la main, et le releva. Allez, lui dit-il, voir Madame de Luz et calmer toutes ses alarmes. Le baron de Luz prit congé du roi, et arriva chez lui suivi des mêmes personnes qui l’avaient accompagné au Louvre.

Madame de Luz, plongée dans la douleur, et qui avait fait défendre sa porte à tout le monde, fut extrêmement surprise d’entendre plusieurs carrosses qui entraient dans sa cour, et bientôt après le bruit d’un grand nombre de personnes qui s’approchaient de son appartement, sans être annoncées. Elle appelait ses gens pour en savoir le sujet, lorsqu’elle vit paraître devant elle M. de Luz suivi d’une foule de ses amis. Il courut l’embrasser avec mille transports.

Jamais surprise ne fut égale à celle de Madame de Luz. La présence de son mari fut pour elle un coup de foudre : celle de Thurin, le souvenir de son crime, et tout ce qui lui était arrivé, ne pouvaient pas lui porter un coup plus cruel. Elle revoyait un mari à qui elle n’osait plus donner ce nom ; qui, en paraissant devant elle, semblait moins touché du plaisir de jouir de la liberté, que de celui de retrouver une femme qu’une longue séparation lui avait rendue plus chère. Elle le voyait se livrer aux transports les plus vifs, et l’accabler des caresses les plus tendres, dans le moment qu’elle venait de lui faire le plus sensible outrage. Elle n’osait répondre à ses caresses ; peu s’en fallut qu’elle ne lui déclarât qu’elle en était indigne. Cependant elle se remit le mieux qu’il lui fut possible ; et le baron de Luz attribua le désordre de sa femme à la surprise où elle était de le voir dans un temps où tous ses amis craignaient pour ses jours. Le nombre prodigieux d’amis qui l’avaient accompagné depuis la bastille jusque chez lui, achevèrent, par leur empressement, de cacher l’embarras de Madame de Luz.

M. de Saint-Géran était le seul qui, dans la joie qu’il marquait, ressentait en lui-même quelques mouvements secrets et involontaires qui la combattaient. Ce n’est pas qu’il n’eût fait tout au monde, et qu’il n’eût hasardé même sa vie pour sauver celle du baron. Mais, lorsque M. de Luz fut en sûreté, que la générosité fut satisfaite et inutile, l’amour reprit tous ses droits. M. de Saint-Géran ne laissait cependant rien paraître qui pût déceler ses sentiments secrets ; peut-être ne les démêlait-il pas bien lui-même. Ce n’était qu’un mouvement secret de la nature qui ne pouvait éclater sur son visage que pour des yeux aussi clairvoyants que ceux d’une amante, et personne ne crut faire à M. de Luz des compliments plus sincères que M. de Saint-Géran.

Pendant que M. de Luz recevait les compliments de toute la cour, Madame de Luz était obligée de cacher le chagrin intérieur qui la dévorait, et de prétexter souvent quelque incommodité qui pût paraître la cause de l’abattement où elle était. Le baron de Luz ne manquait pas un jour d’aller faire sa cour. Le roi l’entretint souvent des affaires de la Bourgogne ; et, quelques jours après, il déclara qu’il donnait ce gouvernement à m le dauphin ; que M. de Luz et M. de Bellegarde en seraient les lieutenants généraux sous lui, et partageraient entre eux toute l’autorité dont était revêtu le maréchal de Biron.

Ce changement dans la forme du gouvernement de Bourgogne était extrêmement favorable au baron de Luz. Quoiqu’il eût un collègue dans M. de Bellegarde, son autorité partagée devenait cependant plus grande sous m le dauphin, que lorsque le maréchal de Biron y commandait. Mais la faveur dont le baron de Luz commençait à jouir, ne consolait pas Madame de Luz. Quoiqu’elle ne fût devenue la victime de la scélératesse de Thurin que pour sauver la vie de son mari, elle se repentait toujours de ce qu’il lui en avait coûté. La présence de son mari lui reprochait d’avoir violé ses devoirs. La vue de M. de Saint-Géran lui rappelait l’amour outragé, et le souvenir de Thurin lui causait une horreur qui achevait de déchirer son âme.

Thurin s’était en vain flatté de s’être acquis le droit de continuer quelque commerce avec Madame de Luz. Il s’imaginait, sur le caractère ordinaire des femmes, que le sacrifice qu’il en avait obtenu la lui avait soumise. Une femme qui s’est une fois livrée à un homme, si elle ne lui a pas engagé son cœur, lui a du moins donné des droits sur sa complaisance : ou elle s’attache à son amant, ou elle obéit à son tyran ; et la passion brutale d’un scélérat n’en exige pas davantage. Thurin crut n’avoir pas besoin d’autre titre pour aller la voir ; et il comptait bien, s’il la trouvait seule, prendre avec elle des arrangements, et lier un commerce réglé. Madame de Luz était seule en effet lorsqu’on le lui annonça. L’indignation qui, au nom de Thurin, s’éleva dans son cœur, l’empêcha de répondre. Si elle eût prévu son audace, elle lui eût fait défendre sa porte ; et elle n’était pas encore revenue de son trouble lorsqu’il entra. Madame, lui dit-il, quoique je n’aie pas dû l’excès de vos bontés à votre inclination, qui seule pourrait rendre mon bonheur parfait, je sens que je vous suis attaché pour ma vie. Je veux faire tous mes efforts pour effacer de votre esprit ce que mon entreprise paraît avoir eu de violent ; et je ne puis être heureux, si par mes soins, mes respects, et une entière soumission à toutes vos volontés, je ne parviens à toucher votre cœur. Vous pouvez, ajouta-t-il, si vous approuvez mes vœux, déclarer à M. de Luz que c’est à moi qu’il doit son innocence, et la facilité qu’il a eue d’apaiser le roi. Par là vous le disposerez aisément à m’accorder son amitié, et elle servira facilement de voile à mon assiduité à vous faire ma cour. Madame de Luz, qui jusque-là, retenue par la colère, la honte et l’indignation, avait gardé le silence, le rompit enfin.

Pourrais-tu, lui dit-elle, malheureux, te flatter d’exciter dans mon cœur d’autres sentiments que ceux du mépris et de l’horreur ? Ne dois-tu pas être content de m’avoir plongée dans l’infamie et dans le crime ? Après avoir déshonoré mon mari, veux-tu, par une lâcheté encore plus grande, le trahir en l’obligeant à l’amitié et à la reconnaissance envers un monstre digne de toute sa fureur ? Ah ! Respecte du moins son erreur, et ne la fais pas servir à combler tes crimes et mon indignité. Ne suis-je pas assez criminelle ? Crois-tu que je puisse encore devenir complice de ta perfidie ? Ah ! Sans doute tu peux croire que tu m’as rendue assez méprisable pour oser tout hasarder avec moi ; mais ne t’abuse pas davantage, ne cherche pas à me rappeler l’idée de mon crime. Je veux croire que ma honte n’est connue que de toi, ne viens pas la redoubler par ta présence ; c’est assez pour moi de rougir à mes yeux. Va, fuis, délivre-moi de l’horreur de te voir ; pour expier mon crime, pour punir ta lâcheté, je suis capable de découvrir l’un et l’autre ; et mes remords me donneront plus de fermeté que je n’en ai eu pour conserver mon innocence. Madame de Luz finit en répandant un torrent de larmes, et suffoquée par ses sanglots. Thurin, ému de ce spectacle, soit crainte ou respect, soit repentir ou admiration, n’eut pas la force de répliquer, et se retira. Lorsqu’il fut sorti, Madame de Luz continua encore de s’affliger ; mais enfin elle se calma, ou du moins elle tâcha de cacher son trouble, parce que le marquis de Saint-Géran entra presque dans le même moment.

De quelque honte que Madame de Luz se sentît accablée en présence de son mari, celle de M. de Saint-Géran lui donnait encore plus de confusion. En effet, elle n’avait trahi que ses devoirs envers M. de Luz : si les exemples en pareille matière pouvaient autoriser, elle en avait assez pour ne se pas juger extrêmement criminelle ; mais elle était peut-être la seule qui, avec la passion la plus violente dans le cœur, sût résister à son penchant. Elle avait manqué à la fois à la vertu et à l’amour ; et les reproches de l’amour sont peut-être les plus sensibles.

La présence de M. de Saint-Géran augmentait donc le dépit de Madame de Luz. Elle ne s’était pas encore trouvée seule avec lui, depuis que M. de Luz était rentré en grâce auprès du roi. Madame, lui dit M. de Saint-Géran, quoique vous m’ayez peut-être soupçonné d’avoir eu, au sujet de M. de Luz, des sentiments plus intéressés que généreux, je puis vous assurer que personne n’a été plus sensible que moi à sa justification. J’aurais sans doute fait mon bonheur de vous posséder ; mais, quelle que soit ma passion pour vous, je ne voudrais pas vous devoir au malheur d’un ami, et, ce qui est encore plus respectable pour moi, d’un homme qui vous est cher. Vous m’avez accoutumé à n’avoir d’autres sentiments que les vôtres ; et si de moi-même j’en eusse eu de moins généreux, depuis que j’ai le bonheur de vous être attaché, je vous aurais dû ma vertu.

Je n’ai jamais pensé, répondit Madame de Luz, que vous ayez été capable de concevoir des espérances qui pussent nous faire rougir l’un et l’autre. Je vous ai toujours cru vertueux. Quelque flatteur qu’il fût pour moi de vous avoir inspiré ces sentiments, il ne l’est peut-être pas moins de supposer que vous les avez toujours eus, qu’ils vous sont propres et naturels. C’est par là seulement que je puis excuser mon penchant pour vous ; et il m’est encore plus doux de justifier mon attachement que de flatter mon amour-propre. Je sais que M. de Luz mérite, par l’amitié qu’il a pour vous, que vous soyez son ami ; mais je ne sais si un rival est un ami bien sûr. Quoi qu’il en soit, vous savez que je vous ai toujours ouvert mon cœur, je vous l’aurais peut-être caché difficilement ; mais enfin, si vous connaissez le fond de mon âme, c’est à ma confiance, et non pas à ma faiblesse ou à mon indiscrétion, que vous devez l’attribuer. Je ne changerai point avec vous de conduite à cet égard. Quels que soient mes sentiments, je vous les ferai connaître ; et, pour continuer à vous convaincre de ma sincérité, je vous avouerai que vous m’êtes infiniment cher ; que je crois que vous me le serez toujours : j’ajouterai même que je le crains. Oui, je ne vous dissimulerai point que je souhaiterais vous voir avec plus d’indifférence. Les alarmes que la prison de M. de Luz m’a causées, les frayeurs que j’ai eues sur son sort, me l’ont rendu plus cher. Si la vertu, si la raison doivent nous faire combattre des sentiments contraires à notre repos, pourquoi ne pas chercher à fortifier ceux qui y sont conformes ? L’on prétend que les réflexions peuvent affaiblir une inclination ; elles peuvent aussi contribuer à la fortifier dans un cœur. Je veux faire tous mes efforts pour m’attacher de plus en plus à M. de Luz ; je crains bien de n’y pas réussir ; mais enfin je suis obligée d’y travailler ; et je sens bien qu’il ne fera pas de grands progrès dans mon cœur, tant que votre présence détruira tout le fruit de mon attention et de mes soins. Je vous demande en grâce de me voir avec moins d’assiduité ; les dissipations qui se trouvent dans Paris, peuvent vous en fournir aisément le prétexte et les moyens. Ce n’est peut-être qu’en nous arrachant l’un à l’autre, que nous cesserons de nous être nécessaires. Je vous avouerai même, et je ne puis porter plus loin le désir de me livrer à mes devoirs, que je voudrais que votre cœur pût s’attacher. Plusieurs femmes en briguent la conquête ; leur facilité est un grand charme : en les voyant, et cessant de me voir, vous m’oublierez aisément ; les chaînes de l’habitude sont bien fortes. Ce n’est pas que j’espère ressentir pour M. de Luz la tendresse que vous seul jusqu’ici m’avez inspirée. Je serais trop heureuse que mon cœur et mon devoir fussent d’accord ; si je ne dois pas m’en flatter, ils ne seront pas du moins dans un combat perpétuel, et la vertu n’exige rien de plus : l’amour pour mon mari ferait mon bonheur ; mais il n’est pas nécessaire à mon devoir.

Tandis que Madame de Luz parlait ainsi, M. de Saint-Géran était dans un étonnement qui ne lui permettait pas de l’interrompre ; mais lorsqu’il vit qu’elle avait cessé de parler : je n’aurais jamais soupçonné, lui dit-il, madame, que le malheur, qui ne semblait d’abord menacer que M. de Luz, ne dût enfin tomber que sur moi. Vous savez combien j’ai été sensible à sa disgrâce ; j’aurais sans doute désiré de contribuer par mes soins à lui procurer sa liberté ; mais je suis encore plus satisfait qu’il ne l’ait due qu’à son innocence. J’aime assez mes amis pour ne pas désirer de leur rendre des services qu’ils ne devraient qu’à leur malheur ; et je n’ambitionne point de me les assujettir par la reconnaissance. Je ne sais pas si de pareils sentiments auraient dû vous détacher de moi ; ils étaient faits pour toucher votre âme. Vous espérez, dites-vous, qu’en cessant de vous voir, je cesserai de vous aimer, et que mon cœur pourra devenir sensible pour quelque autre que vous : vous ne rendez justice ni à vous, ni à moi. Un cœur que vous avez une fois touché, doit être bien difficile sur tout autre objet ; et d’ailleurs, soit vertu, soit malheur, je ne suis point de ceux qui s’attachent plutôt par faiblesse que par goût, qui offrent leur hommage et non pas leur cœur. Vous connaissez le mien ; vous savez qu’il n’était fait que pour vous : vous m’aviez permis de croire que vous en acceptiez le don : faut-il le rejeter aujourd’hui avec mépris ? Que vous êtes injuste, reprit Madame de Luz ! Pouvez-vous imaginer que je vous méprise ? Ah ! Croyez que je vous estime, puisque je vous aime. Je serais trop malheureuse si vous cessiez de mériter mon estime : c’est elle seule qui peut justifier mon penchant pour vous ; mais notre amour est aussi contraire à mon bonheur qu’à mon innocence. Que je vous doive l’un et l’autre ; cessons de nous voir : cette séparation me sera plus cruelle qu’à vous-même ; mais je la crois nécessaire ; peut-être lui devrons-nous un jour notre tranquillité.

M. de Saint-Géran, ne pouvant se résoudre à un si cruel sacrifice, fut quelque temps à combattre la résolution de Madame de Luz ; mais, voyant qu’au lieu de lui faire changer de dessein, il ne faisait que l’affliger ; jugeant aussi qu’il lui serait impossible de cesser de la voir, en demeurant dans le même lieu, il prit enfin le parti de s’éloigner, autant par désespoir que par obéissance. Il alla prendre congé d’elle. Jamais adieux ne furent plus tendres ; jamais il n’y eut de séparation plus cruelle ; jamais leur amour n’avait été plus vif. Ils gémissaient, ils soupiraient ; la douleur les empêchait de parler, et ils ne pouvaient s’exprimer que par leurs larmes. Madame de Luz fut prête à révoquer un ordre qu’elle trouvait trop barbare contre M. de Saint-Géran, et contre elle-même. Elle n’avait exigé cette séparation que pour cesser de l’aimer ; et, n’écoutant alors que son cœur, elle lui jura cent fois l’amour le plus tendre et le plus constant. Ils se séparèrent enfin ; et M. de Saint-Géran, qui avait demandé au roi la permission d’aller servir en Hongrie, partit le jour même, le cœur déchiré par l’amour et par le désespoir.

La France, qui avait été longtemps agitée par les guerres civiles et étrangères, jouissait enfin d’une paix stable qu’elle devait à la valeur, à la fermeté et à la prudence de son roi. Henri, après avoir calmé les troubles intérieurs, dissipé les factions et épouvanté les rebelles, venait encore d’assurer la paix avec l’Espagne et la Savoie par les traités de Vervins et de Lyon.

Un grand nombre d’officiers français, n’ayant plus de guerre chez eux, allèrent la chercher chez les étrangers. Les uns passèrent, avec le prince de Joinville, chez les hollandais ; les autres suivirent les ducs de Mercœur et de Nevers, et offrirent leurs services à l’empereur Rodolphe II contre les turcs. Il semble que le français ne fasse la guerre que pour la gloire. Il combat son ennemi sans le haïr ; et, sitôt qu’il a fait sa paix, il est prêt à servir avec zèle celui contre lequel il vient d’exercer sa valeur. Les services que Rodolphe reçut des français furent tels, que Mahomet III, qui régnait alors sur les ottomans, leur attribua les plus grands succès des impériaux. Il envoya à ce sujet au roi, Barthélemy Lueur, renégat français, et le premier que les turcs aient chargé d’une pareille commission. Son principal objet était d’engager le roi à rappeler le duc de Mercœur et les français qui l’avaient suivi. Henri reçut cet envoyé avec distinction, quoique sans grand appareil.

Il le chargea de plusieurs présents pour répondre à ceux du sultan ; mais il ne lui donna aucune réponse positive sur ses demandes. En effet, Henri, élevé parmi les armes, ayant conquis son royaume à la pointe de l’épée, et justifié ses droits par sa valeur, aimait naturellement la guerre. C’était par là qu’à la fois général et soldat, il était devenu le plus grand capitaine de son siècle. La plupart de ses officiers, qui dans d’autres temps ou d’autres lieux eussent été des généraux, ne paraissaient que des soldats sous lui. Ce prince, en faisant la paix, avait sacrifié son inclination particulière au bonheur de ses sujets : quand on sait combattre, on doit savoir aussi faire glorieusement la paix. Henri aimait tous ses sujets. Il protégeait le peuple comme la partie la plus faible, quoique la plus nécessaire à l’état ; mais il considérait particulièrement la noblesse et les soldats, comme les défenseurs de la patrie.

Il savait que la noblesse n’était exempte de quelques impositions, que parce qu’elle était destinée à servir plus glorieusement l’état ; qu’elle ne tirait le droit de porter l’épée que de l’obligation où elle est de l’employer contre les ennemis de la nation, et il ne regardait comme véritables gentilshommes que ceux qui portaient les armes. On ne voyait point un homme, au sein de l’oisiveté, prétendre à des places qui sont le prix du sang versé pour la patrie, ou quitter le service après les avoir obtenues.

Le roi n’était donc pas fâché que la plupart des gentilshommes allassent chez les étrangers continuer à s’instruire du grand art de la guerre. Il sut bon gré à ceux qui lui en demandèrent la permission ; ainsi le marquis de Saint-Géran n’avait pas eu de peine à l’obtenir.

Quelque temps après, le baron de Luz partit avec M. de Bellegarde, pour aller à Dijon régler ensemble la forme du nouveau gouvernement. Comme il ne comptait pas y faire un long séjour, il laissa Madame de Luz à Paris. Aussitôt qu’elle n’eut plus devant les yeux son amant et son mari, deux objets dont la vue déchirait le plus cruellement son âme, elle ne craignit plus que de rencontrer Thurin, dont le souvenir la faisait frémir d’horreur. Elle prit le parti d’aller passer, à une maison de campagne qu’elle avait auprès de Paris, tout le temps que M. de Luz serait absent. Lorsqu’elle y fut, elle se livra encore à toute sa douleur. C’est une douceur pour les malheureux que de pouvoir s’affliger en liberté. Mais enfin le temps la calma un peu ; et elle commençait à jouir de quelque tranquillité, lorsque plusieurs personnes, abusant du voisinage, vinrent troubler sa solitude. Madame de Luz, après avoir satisfait à tout ce que la politesse et l’usage exigent en pareille occasion, fit tous ses efforts pour rompre ou prévenir des liaisons qui lui étaient importunes. Le monde ne s’attache qu’à ceux qui le recherchent : Madame de Luz eût été bientôt rendue à sa solitude, si parmi ceux qui vinrent la voir, il n’y en eût eu deux qui avaient été attirés chez elle par un intérêt trop vif pour s’en éloigner aussi facilement.

Le comte de Maran et le chevalier de Marsillac, qui avaient vu Madame de Luz à la cour, en étaient devenus amoureux l’un et l’autre. Le comte de Maran était un homme d’une naissance assez ordinaire, pour ne pas dire obscure. Il était venu du fond d’une province éloignée pour s’attacher à la cour ; et, comme on y reçoit aussi souvent les hommes sur leurs prétentions que sur leurs droits, il s’y était donné pour un homme de qualité, et avait été reçu pour tel ; ou plutôt on ne s’était guère embarrassé de lui disputer un titre qui n’intéressait personne, par le grand nombre de ceux qui le portent ou qui l’usurpent.

C’était sur une naissance aussi douteuse que Maran fondait un orgueil stupide, tel qu’on le remarque dans ceux qui n’ont d’autre mérite qu’un nom à citer. Le comte de Maran croyait que la valeur était la seule vertu ; et la férocité lui en tenait lieu. Au reste, sans mœurs, sans esprit, sans probité, il était capable des actions les plus basses et les plus hardies pour satisfaire ses désirs. Son caractère faisait un contraste parfait avec celui du chevalier de Marsillac. Le chevalier était d’une des meilleures maisons du royaume, pouvait prétendre à tout par sa naissance, et il n’y avait rien dont il ne fût digne par sa vertu.

Deux hommes aussi opposés devinrent rivaux en même temps. Tous deux, extrêmement amoureux, déclarèrent bientôt leur passion à Madame de Luz. Il est aisé de s’imaginer, dans l’état où elle se trouvait alors, quelle impression leurs discours firent sur son esprit. Tous ses malheurs s’y retracèrent dans le moment. En effet, le seul mot d’amour devait la faire frémir ; il était la première cause du désespoir où elle était plongée. Quelque différence qu’elle eût faite en tout autre temps du chevalier de Marsillac et du comte de Maran, elle les traita, dans cette occasion, avec une égale fierté, et presque avec le même mépris. Le chevalier de Marsillac, qui avait l’esprit aussi pénétrant que ses sentiments étaient délicats, ne pouvant accorder avec la douceur naturelle de Madame de Luz un pareil accueil, ne douta point qu’elle n’eût déjà le cœur rempli d’une passion violente, et peut-être malheureuse ; et, respectant son secret, sans lui rien témoigner de ses soupçons, il lui promit qu’il ne l’importunerait jamais par de pareils discours puisqu’il avait malheur de lui déplaire. Madame de Luz lui en sut gré, et ne songea plus qu’à se défaire absolument du comte de Maran. Celui-ci, plus présomptueux qu’éclairé, regarda la colère de Madame de Luz comme le seul effet de la pudeur. Il était, ainsi que tous les gens sans esprit et sans éducation, dans le préjugé grossier et ridicule qu’il n’y a point d’amans dont les femmes ne soient flattées ; qu’elles n’ont jamais qu’une vertu fausse, et qu’il suffit d’être entreprenant pour être heureux avec elles. Le comte de Maran résolut de se conduire sur ce principe, et de se satisfaire à quelque prix que ce fût.

Le chevalier de Marsillac s’aperçut bientôt que Maran était son rival ; mais il ne fit pas à Madame de Luz l’injure de la croire sensible à un tel hommage. Il allait la voir assez rarement pour la persuader de son repentir ; et, quoiqu’il conservât encore pour elle des sentiments fort tendres, il forma le dessein de les lui sacrifier, et de se borner à être de ses amis.

Le comte de Maran ayant voulu retourner chez Madame de Luz, on lui dit qu’elle n’y était pas. Une telle réponse ne peut être longtemps équivoque, surtout à la campagne ; et Maran comprit aisément que Madame de Luz lui faisait refuser sa porte. Il soupçonna aussitôt le chevalier de Marsillac d’être un rival à qui on le sacrifiait. Le comte de Maran croyait qu’il n’y avait rien de honteux en amour, que de n’être pas heureux ; et que les moyens les plus sûrs de le devenir, même les plus criminels, étaient toujours les meilleurs. Le chevalier de Marsillac et lui n’avaient jamais eu beaucoup de liaison : le caractère vertueux du chevalier suffisait pour déplaire au comte de Maran ; mais, lorsque celui-ci regarda le chevalier comme son rival et comme un rival heureux, il conçut la haine la plus violente contre lui, et forma aussitôt le dessein de se venger.

Il était résolu de l’appeler en duel, lorsque le hasard les fit rencontrer, et termina leur querelle. Madame de Luz était bien éloignée de s’imaginer qu’elle dût être bientôt le sujet d’un combat.

On était alors en été, et c’était dans la plus grande chaleur. Madame de Luz dont le parc était borné par la rivière, prenait le bain. Elle y était allée ce jour-là de grand matin, et n’avait qu’une de ses femmes avec elle. À peine était-elle entrée dans le bain, que sa femme de chambre lui dit qu’elle avait oublié quelque chose qui lui était nécessaire. Madame de Luz, se croyant fort en sûreté, lui ordonna de l’aller chercher. Elle ne fut pas plutôt partie, que le comte de Maran arriva au lieu même où Madame de Luz se baignait. Depuis qu’elle lui avait fait refuser sa porte, il se promenait toujours aux environs de sa maison, dans l’espérance de la rencontrer, et de s’expliquer avec elle. Il venait d’entrer dans le parc ; et, ayant aperçu Madame de Luz qui se préparait à se baigner, il s’était tenu caché, et il était fort attentif à toutes ses actions. Aussitôt qu’il eût vu que la femme de chambre s’éloignait, soit qu’il en ignorât le sujet ou qu’il l’eût gagnée, il sortit du lieu où il était et s’avança vers Madame de Luz. Au bruit qu’il fit en s’approchant, Madame de Luz, tirant un coin de la toile du bain, aperçut le comte de Maran ; alors elle fit un cri, et sortit du bain pour s’enfuir, en appelant du monde.

Le comte de Maran la suivit ; déjà il l’avait atteinte, et il se proposait, pour satisfaire sa passion, de se porter aux dernières violences, lorsqu’il vit paraître le chevalier de Marsillac. Le chevalier, que le hasard avait conduit au même endroit, croyant entendre la voix de Madame de Luz, tourna ses pas du côté d’où partaient les cris. Il n’eut pas plutôt vu Madame de Luz poursuivie par le comte de Maran, que l’honneur, l’amour et le ressentiment l’enflammant de colère, il mit l’épée à la main pour punir la lâcheté de Maran, et lui cria de songer à se défendre. Le comte de Maran, transporté de rage à la vue du chevalier de Marsillac, abandonna Madame de Luz pour venir fondre sur son rival. Si je ne suis pas, lui dit-il, heureux en amour, tu vas connaître que je le suis les armes à la main. Le chevalier ne répondit qu’en se précipitant sur son ennemi. Le combat n’est jamais long entre deux hommes bien animés ; et dans le moment le comte de Maran tomba mort sur la place.

Le chevalier de Marsillac courut aussitôt sur les pas de Madame de Luz, qui, fuyant dans le trouble et dans l’état où elle était, s’était enfoncée dans le bois. Il la chercha quelque temps pour la rassurer, en lui apprenant les suites de sa vengeance. Il la rencontra au pied d’un arbre, où elle était évanouie. Le chevalier, frappé de l’état où il la voit, s’empresse de la secourir. Le désordre dans lequel elle était tombée laissait voir mille beautés. Le chevalier ne songea point à le réparer. Ému et partagé entre la compassion, l’admiration et l’amour, il s’arrête à considérer tant de charmes. Qu’elle était belle dans ce moment ! Cette vue enflamme ses désirs ; le trouble et l’ivresse s’emparent de ses sens. Il prend une de ses belles mains, la presse de ses lèvres. Il voudrait la secourir, et il craint, en la retirant de cet état, de se priver du plaisir dont il est enivré. Il l’appelle d’une voix faible, elle ne répond que par un soupir ; la bouche d’où il part en paraît plus belle. Il ose y porter la sienne. L’amour, qui sait prendre toutes les formes, achève de l’aveugler. Il croit ne céder qu’à la pitié, et il est emporté par les désirs les plus ardents. Bientôt il n’en est plus le maître. Il les sent, il s’y livre, et ne les distingue plus. Les désirs trop violents laissent peu d’intervalle de l’entreprise au crime. Madame de Luz, pressée tout à coup par les embrassements du chevalier, revient à elle. Se voyant entre les bras d’un homme, elle veut s’en arracher ; et le mouvement qu’elle fait pour cela achève sa défaite, et commence les remords du chevalier.

Madame de Luz envisagea d’abord le chevalier de Marsillac ; et trop sûre de sa honte, dans l’état où elle se trouve : grand dieu ! S’écria-t-elle, à quel opprobre suis-je donc condamnée ! Et toi, dit-elle au chevalier, dont la fausse vertu m’a séduite, c’est toi qui me déshonores ? Madame de Luz, livrée à la douleur et au ressentiment, accabla le chevalier des reproches les plus sanglants et les plus justes. Le chevalier, aussi humilié de son crime qu’il avait été aveuglé par le plaisir, n’osait lui répondre ; il n’osait même la regarder. Il se jeta à ses genoux, et voulut les embrasser. Madame de Luz le repoussa avec mépris. Le chevalier trouvait sa fureur trop juste pour oser s’en plaindre. Il ne se croyait pas digne d’obtenir le pardon de son crime ; mais il voulait la persuader de son repentir. Madame de Luz continuait toujours de lui marquer son indignation, lorsqu’elle entendit quelqu’un s’approcher ; elle ne douta point que ce ne fût sa femme de chambre qui la cherchait : c’était elle en effet. éloignez-vous du moins, dit-elle au chevalier, et n’achevez pas de me déshonorer par votre présence. Le chevalier de Marsillac, que la vue de Madame de Luz accablait alors des remords les plus cuisants, ne résista pas à son ordre, et se retira.

À peine était-il parti, que la femme de chambre arriva. La frayeur où elle était l’empêcha de remarquer celle de sa maîtresse, ou plutôt elle l’attribua à la même cause. Cette femme avait rencontré le comte de Maran mort et baigné dans son sang. Elle ne douta point que le spectacle d’un combat n’eût fait fuir Madame de Luz. Elle lui demanda, en arrivant, si elle avait été témoin de ce malheur et qui en était l’auteur.

Madame de Luz, pour écarter tous les soupçons du véritable motif de ce combat, répondit simplement que, lorsqu’elle était dans le bain, elle avait entendu un bruit d’épées ; que la frayeur qu’elle avait eue ne lui avait seulement pas laissé remarquer qui étaient ceux qui se battaient, et qu’elle n’avait songé qu’à fuir, malgré l’état où elle était. La femme de chambre lui dit qu’elle avait reconnu le comte de Maran. Madame de Luz, sans s’engager dans un plus long discours, prit une robe et marcha promptement vers la maison. La femme de chambre, qui ne soupçonnait pas sa maîtresse d’avoir la moindre part à ce combat, lui dit qu’elle devait se rassurer ; qu’il n’y avait apparemment pas encore d’autres témoins qu’elles ; et que le parti le plus sûr et le plus prudent qu’elles eussent à prendre, était d’ignorer absolument ce qu’elles en savaient, pour ne pas être inquiétées dans cette affaire. Madame de Luz approuva ce conseil, et arriva chez elle. La mort du comte de Maran fut bientôt répandue. On vint même, quelques heures après, l’annoncer à Madame de Luz, qui, suivant le conseil de la femme de chambre, et encore plus pour son intérêt particulier, feignit de l’apprendre.

La connaissance que l’on avait du caractère du comte de Maran, fit regarder sa mort comme la suite d’un duel, et l’on n’en fit pas la moindre recherche. Ces sortes de combats étaient alors, en France, aussi communs qu’impunis ; et plusieurs autres affaires de cette nature qui survinrent, empêchèrent qu’on ne parlât davantage de celle-ci.

Le chevalier de Marsillac ayant vu passer quelques jours sans qu’on l’inquiétât sur la mort du comte de Maran, et la voyant tout à fait oubliée, jugea que Madame de Luz avait gardé le secret, dans la crainte d’en faire connaître le motif.

Les remords dont Marsillac était agité, égalaient presque la fureur et l’indignation de Madame de Luz. Il n’aurait pas eu l’audace de se présenter à ses yeux ; mais il prit la résolution de lui écrire pour l’assurer de la sincérité de son repentir, lui jurer un secret inviolable sur ce qui s’était passé, et pour tâcher d’en obtenir le pardon. Il envoya sa lettre à Madame de Luz. Elle ne voulut pas la recevoir, et la lui renvoya. Marsillac en fut au désespoir ; mais il ne crut pas devoir s’en plaindre. Il aurait désiré ardemment d’instruire Madame de Luz de son repentir ; mais il ne pouvait se dissimuler que c’eût été une grâce dont il n’était pas digne. Il prit donc le parti d’éviter la présence de Madame de Luz, et de lui épargner la vue d’un homme qui devait lui être aussi odieux. Il sentait qu’il y aurait eu de l’inhumanité à s’offrir à ses yeux. Eh ! Comment, avec de pareils sentiments, avait-il pu cesser d’être vertueux ? Faut-il que la vertu dépende si fort des circonstances ! Que n’eût-il pas fait pour se dérober à lui-même le souvenir d’un crime, dont il était encore plus déshonoré que celle qui en avait été la victime !

Un des plus grands supplices de Madame de Luz, était d’être obligée de renfermer sa douleur. Mais, lorsqu’elle était seule et rendue à elle-même, elle envisageait en frémissant tout ce qui lui était arrivé. Elle ne se voyait qu’avec horreur. Comment, avec tant de vertu dans le cœur, pouvait-elle être devenue si criminelle ? Mais comment, avec tant de malheurs, pouvait-elle être encore innocente ? C’eût été accuser le ciel d’injustice. Elle aimait mieux se condamner elle-même. Les sentiments d’une religion pure, qui devraient faire la consolation des innocents malheureux, achevaient de l’accabler. Agitée de mille remords, elle ignorait qu’ils naissent moins du crime que de la vertu. Elle se livra à toute sa douleur. Elle gémissait ; elle pleurait. Elle crut longtemps qu’il n’y avait plus pour elle de consolation. Mais la religion, qui semblait lui avoir exagéré d’abord l’horreur du précipice où elle était tombée, parut bientôt lui offrir la seule voie d’en sortir, en se jetant entre les bras de Dieu, toujours ouverts au crime repentant. Les secours spirituels ne manquent jamais à Paris.

Cette ville a toujours été le séjour du crime et de l’innocence. Le vice et la vertu y ont chacun leurs ministres, qui sont dans un combat perpétuel. La galanterie avait commencé à la cour sous le règne de François Ier. Elle fut bientôt suivie de la débauche sous Henri Ii. Une foule de vices avaient suivi en France Catherine De Médicis ; et, quoique la cour de Henri Iv fût moins corrompue que celle des rois précédents, elle était encore remplie de beaucoup de désordres.

Outre les dérèglements qui régnaient à la cour, les troubles de religion, qui agitaient encore l’état, avaient réveillé l’esprit et le zèle de la plupart des gens d’église. On a dit que les guerres civiles étaient l’école des grands hommes, parce que chacun essaie ses forces. Les guerres de religion, en causant les mêmes désordres, ont à peu près les mêmes avantages.

Avant ces temps-là on croyait sans examen, on péchait sans scrupule, on se convertissait sans repentir : toutes les fautes se rachetaient par des legs pieux ; les prêtres vivaient heureux, et les malades mouraient tranquilles. Mais l’hérésie vint dissiper cet assoupissement : on voulut s’instruire pour attaquer ou pour se défendre. La sévérité de Henri Ii contre les hérétiques en avait augmenté le nombre. Les directeurs des consciences comprirent que, pour ramener les esprits, ils devaient régler leur zèle. Plusieurs crurent devoir employer la voie de la persuasion. D’ailleurs l’édit de Nantes, donné en faveur des protestants, était un frein à la persécution. Comme Henri Iv n’avait quitté leur communion qu’en suivant les mouvements de sa conscience, il ne se croyait pas obligé de les haïr.

Il les plaignait comme ses frères, et les protégeait comme ses sujets. De tout temps les ecclésiastiques qui se sont livrés à la direction des âmes, ont été partagés en différentes classes. Les uns, avec un cœur droit, un esprit simple et des talents bornés, renfermés dans la bourgeoisie et les états subalternes, cherchent à ramener dans la voie du salut ces âmes égarées par les erreurs des sens. Les fautes grossières de ces pécheurs sont aussi simples que leurs principes ; elles tiennent plus au corps qu’à l’esprit, et n’exigent point, dans les directeurs, cette pénétration qui va chercher au fond du cœur le principe criminel et subtil d’une action en apparence indifférente. Il suffit, pour conduire ces pécheurs obscurs, de connaître leur âge, leur tempérament, et les occasions dans lesquelles ils se trouvent communément. Mais il est une autre classe de directeurs, bien supérieurs à tous les autres. Ceux-ci, nés avec des talents éminents, se destinent à la cour. Ce n’est pas l’orgueil qui les y attache. Ces talents ne viennent pas d’eux-mêmes, c’est Dieu qui les donne à qui il lui plaît ; il faut lui rendre grâces de ses dons, et faire fructifier les talents du seigneur. Sa voix les appelle à la cour, malgré les dangers qui s’y trouvent : on doit vaincre sa répugnance naturelle, et obéir à sa vocation.

Ces hommes choisis doivent connaître tous les replis du cœur. Tour à tour sévères ou relâchés selon le caractère de ceux qu’ils ont à conduire, ils peignent le joug du seigneur ou pesant ou léger. Souples, adroits, insinuants, ils auraient toutes les qualités nécessaires pour suivre la fortune, si ces hommes divins pouvaient envier ses faveurs ; mais il faut presque s’engager dans la voie de ceux qui s’égarent, quand on entreprend de les ramener. On est obligé d’employer contre les passions les armes des passions mêmes ; et le cœur est toujours pur, quoique l’esprit paraisse se prêter aux différentes impressions de la cupidité. Quels talents, quelle charité ne faut-il pas pour régler les passions, pallier les défauts, ou calmer enfin les remords de ceux dont on ne peut corriger les vices !

Parmi ces directeurs illustres il y en avait un fort renommé pour sa piété et pour ses lumières. Flambeau de la vérité, ennemi du crime, il préservait l’esprit de l’erreur, et fortifiait le cœur contre les passions. M Hardouin (c’était son nom) était chargé de la conduite de toutes les consciences timorées de la cour ; ce qui suppose qu’il ne dirigeait guère que des femmes. Pour les hommes, le mot de conversion est puéril ; et ceux qui se convertissent à la cour, sont toujours ceux qui ont le moins besoin de se convertir.

Dans la jeunesse, ils se livrent aux plaisirs et à la dissipation ; et c’est peut-être alors le temps de leur vie le plus innocent. Lorsqu’ils ont épuisé, ou plutôt usé les plaisirs, ou que leur âge et leur santé les y rendent moins propres, l’ambition vient s’en emparer. Ils deviennent courtisans ; ils ne s’occupent plus que de leur fortune et de leur avancement. Ils n’ont pas besoin de vertu pour suivre leur objet ; mais il faut du moins qu’ils en aient le masque, et par conséquent un vice de plus. Le succès ne fait que les attacher d’autant plus à la fortune. Les disgrâces en ont quelquefois précipité au tombeau ; mais il est rare qu’elles les ramènent à Dieu.

Il n’en est pas ainsi des femmes de la cour. Dans la jeunesse, uniquement occupées du soin de plaire, elles en perdent en vieillissant les moyens, et jamais le désir. Quelle sera donc leur ressource ? Le peu de soin qu’on a pris de leur éducation, fait qu’elles en trouvent peu dans leur esprit ; et il y a encore plus de vide dans leur cœur quand l’amour n’y règne plus. Peu d’entre elles, après avoir été amantes, sont dignes de rester amies. Ne pouvant donc se suffire à elles-mêmes, le dépit les jette dans la dévotion. D’ailleurs les femmes, au milieu de leurs dérèglements, ont toujours des retours vers Dieu. On a dit que le péché était un des grands attraits du plaisir ; si cela était, elles en auraient plus que les hommes ; mais cette maxime, fausse en elle-même, l’est encore plus par rapport aux femmes. En effet, elles ne sont jamais tranquilles dans leurs faiblesses, et c’est de là sans doute que vient la pudeur qu’elles conservent quelquefois encore avec celui à qui elles ont sacrifié la vertu. Quelques unes ne sont guère moins ambitieuses que des hommes le pourraient être ; elles veulent du moins décider des places que leur sexe ne leur permet pas de remplir, et la dévotion leur en donne les moyens. Les dévotes forment une espèce de république, où toute l’autorité se rapporte au corps, et les membres se la prêtent mutuellement. Un directeur commençant a d’abord reçu tout son éclat et son crédit de celles qu’il dirige ; et, dans la suite, il donne lui-même le crédit à celles qui s’engagent sous sa conduite. Madame de Luz avait des vues plus pures et un cœur plus sincère. Elle quitta la campagne, et revint à Paris. Elle alla aussitôt trouver M Hardouin. Il fut assez surpris quand on la lui annonça. Comme elle était fort jeune, et que sa conduite passait pour être d’une régularité exemplaire, il ne soupçonnait pas le motif qui lui procurait cette visite. Il crut qu’elle avait quelque affaire importante à la cour, et qu’elle venait le prier d’employer son crédit. Il vint au-devant d’elle avec empressement : quel bonheur, lui dit-il, madame, me procure l’honneur de vous voir ? Serais-je assez heureux pour vous être de quelque utilité ? Vous pouvez me donner vos ordres. J’attends de vous sans doute, lui répondit Madame de Luz, le service le plus important, en vous suppliant de m’accorder vos secours spirituels, dont jamais personne n’eut plus de besoin.

La première attention d’un directeur intelligent et expérimenté est de ne pas montrer d’abord trop de sévérité. La plupart de celles qui s’engagent dans la dévotion, n’ont quelquefois pas encore un dessein bien décidé ; le directeur achève de les déterminer. C’est par une conduite adroite qu’il perfectionne la vocation de ces âmes faibles qui ne sont rien par elles-mêmes, que les circonstances entraînent, et qui, suivant par faiblesse l’amour ou la dévotion, deviennent dévotes, ou ont une intrigue, sans être véritablement attachées ni à Dieu ni à leur amant. Souvent elles voudraient bien allier les deux. Un sermon les a touchées ; l’amant les attendrit, elles auraient de la peine à l’abandonner. Mais elles quittent le rouge, elles vont à l’office, elles se trouvent aux assemblées des dames de paroisse : le recueillement de la journée leur donne le soir plus de vivacité pour recevoir leur amant. Malgré toutes ces petites contradictions, il ne faut pas que le directeur se rende trop difficile. Dans la dévotion, comme dans l’amour, les premiers pas sont toujours précieux.

Il n’en est pas ainsi de ces esprits vifs et ardents, dont toutes les idées sont des projets ; tous leurs mouvements sont des passions, et tous leurs desseins des partis formés. Ils ne se prêtent à rien ; ils se livrent à tout. Le monde aujourd’hui les emporte ; demain le dépit d’un mauvais succès, la perte d’une maîtresse ou d’un amant, leur rend la vie odieuse. La société leur est à charge ; leur foi est encore faible ; l’humeur fait l’effet de la grâce ; ils embrassent les pratiques les plus austères de la religion : avec plus de douceur elle leur plairait moins ; ils s’y livrent comme à une vengeance. Mais ces caractères violents ont plus de ferveur que de persévérance. Un directeur un peu jaloux de sa gloire doit encore, s’il est possible, ajouter à leur austérité ; et les faire plutôt expirer dans les macérations, que de les exposer, par une lâche et coupable indulgence, à devenir déserteurs de la dévotion.

Madame de Luz n’avait rien de ces génies faibles ou violents. Accablée de remords, mais encore plus touchée de la vertu, elle cherchait des lumières capables de l’éclairer, et il ne fallait pas de système pour diriger sa conduite. Quoi qu’il en soit, elle n’eut pas plutôt fait connaître à M Hardouin le sujet qui l’amenait, qu’il s’écria : loué soit à jamais le ciel ! Gloire soit au Très-Haut ! Béni soit le seigneur ! Quoi ! C’est vous, madame, qui craignez d’être hors de la voie du salut ? Je vois que l’innocence a plus de scrupules, que le crime n’a de remords. Mais votre crainte salutaire n’en est pas moins louable : cette sainte frayeur est la sauvegarde de la vertu. Que celui qui est ferme dans la voie du seigneur, prenne garde de tomber, dit saint Paul ; ayez soin d’opérer votre salut avec crainte et tremblement. Oui, madame, il est plus aisé de prévoir les écueils que de sortir du précipice.

Vous aurez bientôt perdu, dit Madame de Luz, l’opinion avantageuse que vous avez conçue de moi, lorsque je vous aurai fait connaître... dirai-je mes crimes, ou mes malheurs ?

Ne craignez rien, répliqua M Hardouin, quelles que soient les fautes que vous ayez commises, vous ne sauriez être bien criminelle avec autant de remords. Le ciel est plus sensible à la conversion d’un pécheur qu’à la persévérance de plusieurs justes ; c’est pour les âmes repentantes que les trésors de la grâce sont ouverts. Parlez, madame, ayez confiance en moi. Je sens combien votre salut m’intéresse. Ouvrez-moi votre cœur. Madame de Luz sentit alors renouveler toutes ses douleurs. Qu’il était humiliant pour elle d’en avouer les motifs ! Un tel aveu coûte bien moins à celles qui sont plus coupables. M Hardouin, voyant jusqu’à quel point Madame de Luz était affligée et interdite, n’oublia rien pour lui inspirer de la confiance. Rassurez-vous, lui dit-il, madame, je suis prêt à vous entendre et à vous consoler. Madame de Luz, un peu rassurée et faisant effort sur elle-même, commença le récit de tout ce qui lui était arrivé. Vingt fois la pudeur et les sanglots lui coupèrent la parole ; et chaque fois M Hardouin employa toute l’adresse imaginable pour la faire continuer, soit en l’interrogeant sur des détails, ou en lui rappelant des circonstances. Madame de Luz finit, avec un torrent de larmes, un aveu qui lui avait tant coûté.

M Hardouin en fut ému, il en fut même étonné. Ce n’est pas qu’il n’eût vu souvent des femmes converties ; mais il n’en voyait guère de repentantes. La dévotion est le dernier période de la vie d’une femme. La plupart de celles que M Hardouin dirigeait, avaient commencé par se livrer au plaisir qui les recherchait ; elles avaient ensuite tâché d’en prolonger le cours, et leurs efforts étaient devenus d’autant plus vifs, qu’elles avaient vu de jour en jour le monde prêt à les quitter. Les regrets les avaient encore occupées quelque temps, et elles avaient enfin cherché une consolation et un asile dans la dévotion. L’aveu de leurs fautes ne leur coûtait point ; en les confessant, elles se retraçaient leurs plaisirs, et c’était l’unique qui leur fût resté.

Des détails aussi délicats et aussi vifs que ceux que M Hardouin entendait chaque jour, devaient faire quelquefois sur son esprit une impression bien dangereuse pour la vertu. L’imagination s’échauffe, et elle est le premier ressort des sens : il faut alors que la grâce soit bien puissante, puisque l’homme est si faible.

Mais, quelque danger qui puisse se trouver pour la vertu d’un directeur, les images qu’il se forme ne sont pas ordinairement nourries et fortifiées par la vue d’objets jeunes et séduisants. C’était peut-être un état nouveau pour M Hardouin, que d’entendre un aveu simple et naïf, et de voir en même temps à ses pieds une personne jeune et charmante. Les larmes ingénues qu’elle répandait lui donnaient de nouvelles grâces. L’innocence est le premier charme de la beauté, et rien ne retrace l’innocence comme le remords.

M Hardouin fut touché de la douleur de Madame de Luz. Un homme accoutumé à entendre le récit des plus grands dérèglements, ne devait rien trouver d’extraordinaire dans sa nouvelle pénitente, que le malheur, les charmes et le repentir. Il fit tous ses efforts pour la consoler. Il n’employa pas les lieux communs ordinaires. Il se trouvait dans une circonstance toute nouvelle. Il avait de l’esprit, et la vue de Madame de Luz lui inspirait la charité la plus vive. Il lui parla avec douceur. Il l’engagea à venir le voir le plus souvent qu’elle pourrait ; ou plutôt il lui persuada de ne s’occuper désormais que de son salut. Madame de Luz, qui commençait à se sentir soulagée par la démarche qu’elle venait de faire, écoutait avec avidité les conseils de M Hardouin. Les consolations nous viennent plutôt des autres que de nos propres réflexions. Elle en trouvait déjà dans les discours de son directeur. Elle promit de lui soumettre entièrement sa conduite ; et, dès ce moment, elle se livra absolument à sa direction. Madame de Luz voyait tous les jours M Hardouin.

Bientôt il la distingua de toutes celles qu’il dirigeait. Il sentait qu’elle lui était particulièrement chère. Il s’applaudit de son zèle, et il le redoubla. Il éprouvait pour sa nouvelle pénitente des mouvements tendres, qui peut-être lui avaient jusqu’alors été inconnus ; il les attribua à la grâce : quel autre principe aurait pu les faire naître ! Madame de Luz, qui trouvait dans son cœur un peu de tranquillité, croyait la devoir à la sagesse de M Hardouin ; et celui-ci goûtait une suavité qui échauffait encore son zèle. Bientôt il ne trouva plus de douceur que dans les entretiens qu’il avait avec elle. Il ne fut pas longtemps à s’apercevoir de l’intérêt vif et tendre qu’il prenait à sa personne. Sa vertu n’en fut point effrayée. Il ne douta point que sa ferveur ne partît d’un amour pur, dont il commençait à sentir les pieux élancements, et dont il allait éprouver successivement tous les états. Il aspirait déjà à ce suprême degré de perfection, où l’âme, purgée de toutes passions terrestres, purifiée par le feu même de l’amour, parvient à l’heureuse impuissance de pécher, en goûtant les plaisirs les plus parfaits.

Dans cette confiance, M Hardouin se livra sans scrupule au tendre penchant qu’il ressentait pour Madame de Luz ; mais il reconnut bientôt qu’il avait pour elle la passion la plus violente. Quelque ingénieux que nous soyons à nous séduire et à nous aveugler nous-mêmes, nous ne pouvons jamais écarter absolument les traits de la vérité ; et personne ne s’engage innocemment dans la voie du crime. Malgré le système spécieux dont M Hardouin cherchait à s’éblouir, il ne pouvait ignorer que ses désirs fussent criminels. Il connaissait trop le cœur humain pour chercher à se faire illusion.

D’ailleurs, à force d’entendre le récit des mœurs les plus dépravées, on peut se familiariser avec leur idée, et le crime en fait moins d’horreur. Quoi qu’il en soit, M Hardouin convint bientôt avec lui-même de l’état de son cœur, et de la nature de ses désirs. Il ne les combattit pas longtemps. Il savait le grand art de calmer et d’écarter les remords ; et il n’eut pas de peine à faire sa paix avec sa propre conscience. Il n’aurait pas tardé à faire connaître à Madame de Luz la passion qu’elle lui avait inspirée, s’il n’eût craint de révolter sa vertu, qu’il avait eu le temps de connaître ; il était très sûr de se voir éloigner pour jamais, s’il eût laissé soupçonner ses sentiments. Il résolut de les cacher, et de s’appliquer uniquement à séduire l’esprit de sa pénitente. Il sentait que l’entreprise n’était pas facile. La dévotion de Madame de Luz était d’autant plus sincère, qu’elle avait la vertu pour principe : si elle eût eu le goût des plaisirs, et qu’ils n’eussent pas été contraires à ses devoirs, elle n’eût pas éloigné un amant chéri. D’ailleurs, instruite par ses malheurs, elle devait être en garde contre tous les piéges que le crime pouvait lui tendre. M Hardouin ne devait donc pas s’attendre qu’il pût séduire son esprit ou corrompre son cœur. Cependant il ne perdit pas l’espérance de réussir, et attendit que l’occasion favorisât ses désirs.

Les gens du monde, emportés dans leurs passions, échouent souvent par leur imprudence. La violence de leurs désirs les aveugle, et leur impatience les empêche de prévoir les moyens, ou de saisir les occasions de réussir dans leurs desseins, qu’ils laissent trop connaître. Il n’en est pas ainsi d’un homme retiré, et dont l’état, supposant la sagesse, exige nécessairement la décence dans toutes ses démarches ; l’habitude où il est de se contraindre lui fait dissimuler ses sentiments. Ses désirs, à la vérité, croissent et s’échauffent par les obstacles ; mais leur violence même, qui naît en partie de la réflexion, lui fait enfin apercevoir, trouver et saisir les moyens de se satisfaire.

M Hardouin s’attacha de plus en plus à gagner la confiance de Madame de Luz. Sa principale étude était de détruire entièrement les remords dont elle était agitée. Elle n’avait pas le moindre soupçon des vues criminelles de son directeur. Il était cependant bien singulier qu’un homme, chargé de la conduite des âmes, ne trouvât rien à reprendre dans sa pénitente, que les scrupules et la vertu.

Madame de Luz commençait à trouver plus de tranquillité dans son âme. Elle recevait avec docilité tous les avis de M Hardouin, et croyait marcher sous la conduite d’un guide sûr et éclairé. Il lui faisait entendre que les actions les plus indifférentes étaient étroitement liées à la grande affaire du salut ; et la timide pénitente, dans la crainte de s’égarer, lui soumit absolument sa conscience et ses affaires domestiques. Il en fut bientôt le maître absolu. Il devint enfin un directeur avec toutes les circonstances et tous les privilèges de cet état.

M Hardouin, pour jouir plus tranquillement du plaisir et de la facilité d’entretenir Madame de Luz, lui persuadait souvent d’aller passer quelques jours à la maison qu’elle avait auprès de Paris. Quelque répugnance qu’elle eût à revoir des lieux qui lui avaient été si funestes, la ville ne lui était pas moins odieuse ; et d’ailleurs elle ne savait plus qu’obéir, lorsque son directeur avait prononcé. Elle allait de temps en temps avec lui chercher la retraite. Il était le seul dont la compagnie pût adoucir ses peines et dissiper son chagrin.

M Hardouin n’osait pas, à la vérité, hasarder des discours qui eussent pu déceler ses sentiments ; mais il jouissait du bonheur de vivre avec ce qu’il aimait.

C’était ainsi que Madame de Luz passait sa vie, lorsqu’elle apprit que M. de Luz était dangereusement malade à Dijon. Elle fit aussitôt part à son directeur de cette nouvelle, et du dessein où elle était de partir sur-le-champ pour aller trouver son mari. M Hardouin, qui craignait que ce voyage n’apportât quelque changement à l’heureuse situation où il se trouvait, combattit sa résolution, en essayant de calmer ses inquiétudes. Elle persistait cependant dans son dessein, et se préparait déjà à partir, lorsqu’elle reçut la nouvelle de la mort de M. de Luz. La douleur de Madame de Luz n’aurait été ni plus vive, ni plus sincère, quand elle aurait eu pour son mari la passion la plus violente. M Hardouin eut besoin, pour la calmer, de tout l’ascendant qu’il avait sur son esprit.

Le roi fut sensible à la mort du baron de Luz, qu’il regardait comme un de ses plus fidèles serviteurs, et qui en effet l’était alors. Il envoya faire compliment à Madame de Luz ; et, pour marquer la considération qu’il avait pour la mémoire du baron, il donna la lieutenance générale de Bourgogne au comte de Luz, parent du défunt, et qui prit alors le titre de baron de Luz.

Madame de Luz n’ayant plus rien qui l’obligeât à vivre dans le monde, renonça absolument à la cour, et se retira dans sa maison de campagne. M Hardouin l’y suivit. Ce fut là qu’en voulant la consoler de la perte de son mari, il essaya en même temps de la détacher de la vertu. Il faut, lui disait-il, recevoir avec une résignation parfaite tout ce qui vient de Dieu. Il ne fait rien que pour sa gloire et pour notre salut ; soit bienfaits, soit adversités, de sa main tout est grâce. Il n’y a point de malheur qui, dans quelques unes de ces circonstances, ne porte avec lui un motif de consolation. Par exemple, vous pleurez aujourd’hui la perte de votre mari : votre douleur est respectable ; cependant le devoir, plus que l’inclination, vous attachait à M. de Luz. Vous avouerez d’ailleurs que vous craigniez sa présence ; ce n’est pas que dans tout ce qui vous est arrivé, il n’y ait plus de malheur que de crime : votre conscience doit être tranquille ; mais votre mari n’en était pas moins outragé ; sa présence serait un reproche éternel contre vous. En effet, votre malheur, bien pardonnable par lui-même, et que vous avez assez expié par votre repentir, était cependant un adultère ; au lieu que, si vous aviez aujourd’hui une faiblesse pour quelqu’un (car enfin il ne faut jamais compter sur la vertu humaine, une telle confiance en sa propre force serait un orgueil trop criminel), si vous aviez, dis-je, une faiblesse même volontaire, tous nos casuistes en feraient une très grande différence d’avec l’adultère. Il y en a eu plusieurs qui ont penché à ne pas regarder comme un péché mortel le commerce de deux personnes libres.

Il est vrai que le sentiment de ces docteurs n’a pas été admis, et je ne sais pas pourquoi ; car enfin il y aurait bien moins de coupables qu’il y en a, puisque ce n’est que la loi qui fait le péché. Quelle que fût la confiance de Madame de Luz en M Hardouin, quelque respect qu’elle eût pour ses décisions, elle ne laissa pas que d’être étonnée du tour de sa morale, quoiqu’elle ne soupçonnât rien de ses desseins. Je ne sens que trop, lui dit-elle, l’énormité de mes fautes, et l’outrage que j’ai fait à M. de Luz ; mais je me croirais encore plus coupable si je me livrais volontairement au crime.

Je ne dois songer qu’à fléchir le ciel par mon repentir et par mes larmes. Je crains quelquefois que vous n’ayez trop d’indulgence pour moi. M Hardouin, trouvant dans Madame de Luz plus de vertu qu’il n’en eût désiré, craignit, en insistant, de se rendre suspect ; et pour écarter tout soupçon : à dieu ne plaise, reprit-il, que ma morale soit jamais relâchée ! Mais il faut avoir une sévérité éclairée, qui sache distinguer la gravité des crimes. Par exemple, quoique vous soyez aujourd’hui dans un état où vous pourriez librement disposer de votre cœur, vous ne devez jamais être sensible pour M. de Saint-Géran ; votre tendresse pour lui serait criminelle ; vous l’avez aimé du vivant de votre mari, c’était presque un adultère ; toute liaison doit être rompue entre vous deux. S’il vous restait quelque inclination pour lui, vous me feriez voir que vous n’avez jamais eu de véritable repentir de vos fautes, puisque votre amour pour M. de Saint-Géran a été la plus grave. À ce nom, Madame de Luz ne put s’empêcher de soupirer, et d’admirer alors la sévérité de la morale de M Hardouin. Elle ne pouvait pas pénétrer l’intérêt qu’il avait de la détacher de M. de Saint-Géran, pour la séduire plus facilement.

M Hardouin hasarda encore plusieurs discours de cette nature ; mais ce fut toujours avec toute la prudence dont le crime réfléchi est capable. Cependant, s’étant convaincu que la vertu de sa pénitente serait inébranlable, et que, s’il insistait davantage, il perdrait absolument sa confiance, il délibéra longtemps sur les mesures qu’il devait prendre pour satisfaire ses désirs ; la violence qu’il leur faisait ne servait qu’à les irriter ; et il prit enfin une résolution digne des plus grands scélérats. L’appartement qu’il occupait était dans le même pavillon que celui de Madame de Luz. Elle n’avait qu’une femme de chambre qui couchait dans une garde-robe à côté d’elle. Ses autres femmes, et le reste des domestiques, logeaient dans un corps de logis séparé. Tous les soirs M Hardouin faisait la prière, où toute la maison assistait, et chacun se retirait ensuite.

Un jour la femme de chambre qui couchait auprès de Madame de Luz s’étant plainte d’une colique, M Hardouin, qui avait déjà arrangé son plan, et qui s’était pourvu de tout ce qui pouvait lui être nécessaire, dit à cette femme qu’il lui donnerait, le soir en se couchant, un remède qu’elle prendrait dans un bouillon, et qui calmerait absolument et dans l’instant même le mal qu’elle ressentait. M Hardouin, en soupant avec Madame de Luz, glissa adroitement plusieurs grains d’opium dans ce qu’il lui servit.

Elle en ressentit bientôt l’effet. À peine eut-elle soupé, que, se trouvant assoupie, elle se fit déshabiller et se coucha. La femme de chambre demanda alors à M Hardouin le remède qu’il lui avait promis. Il lui donna aussi de l’opium préparé, en lui disant de se coucher aussitôt. Cette femme le prit avec confiance et se coucha. M Hardouin se retira ensuite dans sa chambre ; et, ayant renvoyé le domestique qui le servait, il attendait que le reste de la maison fût retiré. Lorsque tout fut tranquille, il alla à l’appartement de Madame de Luz. Il traversa la garde-robe, où il trouva la femme de chambre dans un profond sommeil. Il passa aussitôt dans la chambre de Madame de Luz, s’approcha de son lit ; elle dormait profondément. M Hardouin, ne craignant point de la réveiller, se mit auprès d’elle. Ce malheureux, libre de tout remords, et pressé par des désirs d’autant plus violents qu’ils avaient été plus longtemps contraints, se livra au plus noir des crimes.

Écartons, s’il se peut, l’image d’une perfidie aussi affreuse, et digne de toutes les vengeances divines et humaines. Madame de Luz, tourmentée par la fureur des embrassements et par la violence des transports de ce monstre, revint enfin à elle. Se trouvant alors entre les bras d’un homme, elle douta pendant quelques instants de la vérité. Ce misérable, qui vit qu’elle s’était éveillée plus tôt qu’il ne l’avait prévu, voulut lui demander pardon et faire excuser son audace et son crime. Madame de Luz, trop sûre alors de son opprobre, jeta un cri qui aurait attiré sa femme de chambre, si elle n’eût été ensevelie dans le sommeil le plus profond ; et les autres domestiques étaient trop éloignés pour l’entendre.

Rien ne peut être comparé à l’état de son âme en ce moment. Ce n’étaient point des soupirs, ce n’étaient point des larmes, ce n’était pas même de la douleur ; toutes les expressions ordinaires du malheur étaient trop faibles pour le sien. Cette femme, autrefois le modèle de la douceur, était disparue ; il ne lui restait rien de son caractère. La fureur, le désespoir, la rage l’animaient seuls ; ils lui coupaient la voix ; ils étouffaient ses sanglots.

Elle fut quelque temps immobile, et elle aurait paru privée de tout sentiment, sans les regards furieux et enflammés qu’elle lançait vers le ciel et sur Hardouin. Après quelques instants d’agitation, elle laissa échapper ces mots entrecoupés : à quel comble d’horreur étais-je donc destinée ! Ciel cruel ! Par où puis-je avoir mérité ta haine ? Est-ce la vertu qui t’est odieuse ? La fureur l’empêcha d’en dire davantage ; elle ne s’exprimait plus que par des regards égarés.

Le scélérat Hardouin, qui jusque-là était demeuré dans le silence et attentif à tous les mouvements de Madame de Luz, voulut prendre alors la parole : si vous étiez plus tranquille, dit-il, madame, je pourrais vous faire concevoir que tout ce que les passions font entreprendre, n’est pas toujours aussi criminel que vous vous l’imaginez. Madame de Luz, fixant ses regards sur lui, sentit encore redoubler sa rage. Elle n’eut pas la force de répondre ; mais, ayant aperçu un couteau sur une table, elle voulut se jeter dessus : Hardouin la prévint et se saisit du couteau.

Perfide, lui dit l’infortunée Madame de Luz, que crains-tu ? Ce n’est pas ton sang vil que je veux répandre ; il faut que tu vives, et que ta vie soit un reproche continuel contre le ciel, qui a souffert si longtemps un monstre tel que toi ; mais ne m’empêche pas du moins de finir mes malheurs, ou plutôt je ne te demande point d’autre réparation de ton crime, que de m’ôter la vie.

Hardouin, craignant que la femme de chambre qui était dans la garde-robe ne se réveillât, fit tous ses efforts pour calmer la fureur de Madame de Luz ; mais, voyant qu’il ne pouvait réussir, il porta l’insolence du crime jusqu’aux derniers excès. Je sais, lui dit-il, que je suis perdu si vous faites le moindre éclat ; mais soyez assurée que votre vengeance ne vous rendra que plus malheureuse ; puisque vous dédaignez la prudence de mes conseils, si vous laissez le moins du monde soupçonner ce qui s’est passé entre nous, je rendrai publique toute l’histoire de votre vie. Ne vous flattez pas que le malheur la fasse excuser : les circonstances sont trop contre vous, et j’y saurai donner des couleurs capables de vous couvrir du dernier opprobre. Je vous laisse à vos réflexions ; mais songez surtout que votre discrétion réglera la mienne. Le perfide, après avoir mis le comble à son crime par ce discours, sortit sans attendre de réponse.

La plus affreuse situation n’est pas tant d’avoir épuisé le malheur que d’y être plongé, et de n’oser recourir à la plainte. Cette triste et dernière ressource des malheureux était interdite à Madame de Luz ; elle aurait reçu la mort comme la plus grande faveur ; mais l’amour de la réputation est quelquefois plus puissant que celui de la vie.

Les dernières menaces du scélérat Hardouin la faisaient frémir d’horreur et de crainte ; elle connaissait sa perfidie et son adresse : ne chercherait-il point lui-même à prévenir les esprits ? La réputation dont il jouissait favorisait ses discours. Le crime n’est jamais plus dangereux que sous le masque de la vertu. Ces inquiétudes augmentaient encore le désespoir de Madame de Luz.

Elle était dans ces cruelles agitations lorsque sa femme de chambre se réveilla ; il était déjà tard, elle entra bientôt après dans la chambre de sa maîtresse. Madame de Luz, craignant la présence de tout le monde, lui dit qu’elle était incommodée, qu’elle voulait reposer, et la renvoya. Lorsqu’elle fut seule, elle continua de s’affliger : les larmes sont la ressource du malheur impuissant. Elle envisageait cette suite de malheurs dont sa vie était tissue, sans pouvoir se les reprocher. Sur le soir, sa femme de chambre vint l’obliger de prendre un bouillon, et lui conseilla de retourner à Paris ou d’en faire venir les secours nécessaires. Madame de Luz refusa l’un et l’autre ; elle passa la nuit comme elle avait passé le jour. Le lendemain elle fut obligée de paraître pour prévenir tous les secours importuns que ses gens voulaient lui faire venir. Elle était dans un abattement qui les surprit ; ils s’étonnaient que M Hardouin eût abandonné leur maîtresse dans cet état ; ils croyaient qu’il avait été sans doute appelé à Paris pour quelque affaire indispensable ; et ils étaient bien éloignés de soupçonner la véritable cause de son absence et de l’accablement de leur maîtresse. Il y avait un mois que l’infortunée Madame de Luz traînait cette vie languissante, dévorée par le chagrin qui la faisait insensiblement périr. Elle ne soupçonnait pas que le malheur pût rien ajouter à sa situation, lorsqu’elle reçut encore un coup plus cruel par le retour de M. de Saint-Géran.

Il avait appris en Hongrie la mort de M. de Luz ; son amour n’était point diminué par l’absence, et l’espoir vint remplir son cœur. Il partit sur-le-champ ; il arriva bientôt à Paris, et vint chercher Madame de Luz à sa maison de campagne. Il est impossible de peindre l’état où elle se trouva lorsqu’elle vit paraître devant elle le seul homme qui eût jamais touché son cœur. Tous ses malheurs se présentèrent ensemble à son esprit ; jamais elle ne les sentit si vivement ; ils avaient mis un obstacle éternel à leur union. Elle ne regrettait pas le bonheur qu’elle eût goûté avec lui ; mais elle était au désespoir d’en être devenue indigne. M. de Saint-Géran fut touché de l’abattement où il la trouva. Il savait que les sentiments du devoir étaient presque aussi puissants sur elle que ceux de la nature ; il attribua à la mort de M. de Luz la douleur qu’elle faisait paraître ; il la respecta d’abord, il essaya ensuite de la consoler ; mais personne n’y était alors moins propre que lui. M. de Saint-Géran, usant du privilège du sang qui les unissait et de ceux de la campagne, résolut de demeurer avec elle. La chose était trop naturelle pour que Madame de Luz eût osé le congédier, quoiqu’elle éprouvât le plus cruel supplice par sa présence.

Plusieurs jours se passèrent sans que M. de Saint-Géran osât encore parler de sa passion ; mais, lorsqu’il crut avoir satisfait à tous les égards et aux décences les plus sévères, il osa rappeler à Madame de Luz les sentiments dont elle l’avait autrefois flatté. Que ce souvenir était cruel en ce moment pour elle ! Elle soupira et rougit. M. de Saint-Géran désirait, en lui montrant l’amour le plus vif, le plus tendre et le plus soumis, de l’engager à s’expliquer ; elle ne lui répondit que par des larmes.

Il ne voulut pas alors la presser davantage. Mais, quelques jours après, ayant repris les mêmes discours, et s’apercevant qu’il ne faisait que l’affliger sans pouvoir rien obtenir : votre douleur, lui dit-il, madame, passe les bornes ordinaires. Quelque cher que M. de Luz vous ait été, je sens que ce n’est plus sa perte que vous pleurez ; mais que je vous suis devenu odieux. De grâce, apprenez-moi par où j’ai pu vous déplaire ? Madame de Luz était trop émue des reproches de M. de Saint-Géran, pour ne pas le détromper sur la haine dont il l’accusait : vous ne m’êtes point odieux, lui disait-elle. Il voulait alors la presser de lui déclarer le sujet de sa douleur. Quelques instances qu’il lui fît, elle gardait le silence et pleurait. Cette situation était trop cruelle, et tout ce qui se passait dans son cœur était trop affreux pour qu’elle y résistât longtemps. Elle y succomba enfin. Elle fut saisie d’une fièvre violente. Quelque secours qu’on lui apportât, le mal qui la consumait était au-dessus de l’art des médecins. Ils jugèrent bientôt que la maladie était mortelle. Il ne fut pas nécessaire de le lui annoncer ; elle le sentait elle-même, et voyait avec plaisir approcher la mort ; elle n’était touchée que de la douleur de M. de Saint-Géran. Il ne la quittait pas un moment.

Il ne doutait point qu’elle ne fût la victime d’un secret chagrin, et il n’osait plus lui en demander l’aveu, dans la crainte de lui déplaire. Il avait continuellement les yeux attachés sur elle. Il lui prenait les mains, et il les mouillait de ses larmes. Pour Madame de Luz, il semblait que son âme fût devenue plus tranquille aussitôt qu’elle avait vu que sa mort était certaine. Lorsqu’elle jugea que l’heure de sa mort n’était pas éloignée, elle fit retirer tout le monde, à la réserve de M. de Saint-Géran, et lui adressant la parole : je vois, lui dit-elle, combien je vous suis chère ; et je me reprocherais de vous laisser ignorer que mon cœur, qui n’a été sensible que pour vous, n’a jamais cessé de l’être. J’aurais été trop heureuse que le ciel m’eût unie avec vous ; mais je n’ai pas disposé de mon sort, et ma main n’est plus digne de vous être offerte. Je veux vous marquer, en mourant, la plus grande confiance dont jamais une femme puisse être capable. Madame de Luz lui raconta ensuite toute l’histoire de ses malheurs. M. de Saint-Géran était agité, pendant ce récit, par tous les sentiments de l’horreur, de la vengeance, de la compassion et de l’amour. Aussitôt que Madame de Luz eut fini : ne croyez pas, lui dit-il, madame, que votre récit ait rien diminué de mon amour, de mon estime et de ma vénération pour vous. Vivez pour me voir vous aimer et vous adorer toujours : vivez pour unir votre sort au mien ; vos malheurs seront pour moi un titre de plus pour vous respecter, et ma vengeance en effacera une partie. Non, lui dit-elle, quand je pourrais revenir à la vie, j’admirerais votre générosité ; mais je m’en croirais indigne, si j’en acceptais les effets. Adieu, je sens que je meurs. Que les causes de ma mort soient à jamais ensevelies dans le silence. Je pardonne à ceux qui en sont les auteurs. Conservez quelque souvenir de la plus tendre amie que vous ayez eue, et dont le bonheur eût été de faire le vôtre, si le ciel eût été d’accord avec ses vœux. Madame de Luz ne put en dire davantage ; elle tomba dans une faiblesse qui termina ses jours. Ainsi mourut la plus belle, la plus malheureuse, et j’ose dire encore, la plus vertueuse et la plus respectable de toutes les femmes.

Il n’y a que ceux qui ont aimé véritablement, et dont le cœur est vertueux, qui puissent imaginer la douleur de M. de Saint-Géran. On ne pouvait l’arracher d’auprès de ces tristes restes de l’idole de son cœur. Il lui parlait comme si elle eût pu l’entendre. Il lui disait tout ce que l’amour et le désespoir peuvent inspirer. Il s’évanouit auprès d’elle. On crut qu’il allait expirer. On prit ce moment pour l’emporter. Il fut longtemps sans donner d’autre signe de vie que par des soupirs et des sanglots. Il ne revint à lui que pour s’abandonner à la douleur la plus amère.

Aussitôt qu’on eut rendu les derniers devoirs à Madame de Luz, M. de Saint-Géran imagina que ceux qu’il devait à sa mémoire, étaient de la venger de ses malheurs. Les désirs de vengeance partageaient seuls sa douleur. Il résolut de commencer par le perfide Hardouin ; mais ses recherches furent inutiles. Ce malheureux, craignant que son crime ne vînt à éclater, était passé en Hollande, et avait changé de nom et de religion. L’impuissance de se venger augmenta le désespoir de M. de Saint-Géran. Il résolut du moins de poursuivre sa vengeance contre Thurin et le chevalier de Marsillac ; mais il ne put exécuter son projet, le chagrin avait trop pris sur sa santé. Il tomba malade, et mourut enfin, en prononçant le nom de Madame de Luz.